s y furent
arrives, Joinville fit remarquer au connetable l'importance de garder
ce passage, parce que si les ennemis s'en rendaient maitres, ils
pourraient, vu le grand nombre de leurs troupes, venir prendre l'armee
en flanc, et envelopper le roi. Le connetable approuva la sagesse de ce
conseil; il laissa Joinville dans ce poste, avec le comte de Soissons,
le seigneur Pierre de Noville, et environ cinquante gentilshommes, et
alla joindre le roi.
Il le trouva faisant des choses si prodigieuses, qu'il aurait fallu en
etre temoin pour les croire. On le voyait partout, soit pour soutenir
ses gens lorsqu'ils chancelaient, soit pour achever de rompre les
ennemis lorsqu'ils commencaient a plier. Une fois son ardeur l'emporta
si loin des siens, qu'il se vit tout a coup seul au milieu de six
Sarrasins qui tenaient les renes de son cheval, et s'efforcaient de
l'emmener prisonnier; mais il fit de si grands efforts de la masse et
de l'epee, que les ayant tous tues ou mis hors de combat, il etait deja
libre lorsqu'on arriva pour le degager. _C'est a cette valeur plus
qu'humaine_, dit Joinville, _que l'armee fut redevable de son salut, et
je crois que la vertu et la puissance qu'il avoit lui doubla lors de
moitie par le pouvoir de Dieu_.
Ce brave senechal, de son cote, campe sur son pont avec sa petite
troupe, faisait si bonne contenance que les infideles n'oserent
l'attaquer que de loin, et a coups de traits: il y recut cinq blessures,
et son cheval quinze. Telle etait l'intrepidite de ces anciens preux,
qu'au milieu de tant de perils, la bravoure de ces seigneurs leur
permettait encore de se rejouir et de plaisanter. _Un jour, quand nous
fumes retournes_, dit Joinville[1], _de courir apres ces vilains, le bon
comte de Soissons se railloit avec moi, et me disoit: Senechal, laissons
crier et braire cette quenaille, et par la creffe Dieu, ainsi qu'il
juroit, encore parlerons-nous, vous et moi, de cette journee, en
chambre, devant les dames_. Quelque temps apres, le connetable revint
avec les arbaletriers, qu'il rangea le long du ruisseau, ce qui fit
perdre aux ennemis toute esperance de forcer le passage: aussitot ils
s'enfuirent, et laisserent les croises en paix.
[Note 1: Joinville, p. 17.]
Alors Joinville, par ordre du connetable, alla joindre le roi, qui,
vainqueur partout, se retirait dans son pavillon. Le fidele senechal
_lui ota son casque, qui l'incommodait par sa pesanteur, et lui donna
son chapel de fer, qui etoit
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