moment quatre grands vaisseaux ennemis qui
venaient l'aborder, il delibera avec ses chevaliers sur ce qu'il y avait
a faire: tous convinrent qu'il fallait se rendre, excepte un sien clerc,
qui disait que tous devaient se laisser tuer afin d'aller en paradis:
_Ce que ne voulumes croire_, dit-il avec sa naivete ordinaire, _car la
peur de la mort nous pressoit trop fort_. Il se rendit, de l'avis de
ceux qui etaient en sa compagnie, apres avoir jete dans la riviere un
petit coffre ou il y avait toutes ses pierreries et ses reliques. Comme
il etait presque mourant, il courait risque d'etre tue; mais un de ses
mariniers, pour lui sauver la vie, dit aux infideles que ce chevalier
etait cousin du roi. Sur cela, un sarrasin qui voulait le faire son
prisonnier, vint a lui, et lui dit qu'il etait perdu s'il ne le suivait
et n'entrait dans son vaisseau. Il y consentit, et s'etant fait attacher
a une corde, il se jeta dans l'eau avec le Sarrasin meme, qui se fit
tirer avec lui dans le vaisseau. Il fut conduit a terre, ou d'autres
Sarrasins voulaient le tuer; mais celui qui l'avait pris, le tenant
embrasse, criait de toute sa force: _C'est le cousin du roi, ne le
tuez pas!_ Cela lui sauva la vie, et meme le fit traiter avec assez
d'humanite, jusque-la qu'un seigneur sarrasin lui fit prendre un
breuvage qui le guerit en peu de jours de la maladie dont il etait
attaque, et qui l'avait mis presqu'a l'extremite.
Il fut conduit au commandant de la flotte, qui lui demanda s'il etait
cousin du roi: il repondit que non, et que c'etait un de ses mariniers
qui avait dit cela de lui-meme. Il lui demanda s'il n'etait pas allie de
l'empereur Frederic; il repondit qu'il l'etait par sa mere. Le general
lui repartit qu'a la consideration de ce prince qu'il estimait, il
aurait des egards pour lui.
Il eut la douleur de voir egorger en sa presence un grand nombre de
malades, et entr'autres ce brave pretre messire Jean de Vaisy, son
aumonier, dont j'ai parle, qui avait attaque et mis en fuite six
Sarrasins. Ayant fait dire par le Sarrasin dont il etait prisonnier, aux
officiers qui presidaient a ce cruel massacre: _Qu'ils faisoient grand
mal, et contre le commandement de leur grand Saladin, qui disoit qu'on
ne devoit tuer ni faire mourir homme depuis qu'on lui avoit fait manger
de son pain et de son sel_, ils repondirent qu'ils le faisaient ainsi
par compassion pour leur misere, et pour leur epargner les douleurs que
la maladie leur causait.
Loui
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