Si le conseil est bon, repondit le senechal, avec un petit
reste d'humeur, votre majeste peut le suivre; s'il est mauvais, elle est
maitresse de n'y pas croire. Mais si je demeure en Palestine, ajouta le
prince, le sire de Joinville voudra-t-il rester avec moi? Oui, sire,
reprit celui-ci avec vivacite, fut-ce a mes propres depens." Le roi,
charme de sa naivete, lui decouvrit enfin que son dessein n'etait pas de
retourner sitot en France: neanmoins il lui recommanda le secret. Cette
confidence rendit au senechal toute sa gaiete: _Nul mal_, dit-il, _ne le
gravoit plus_.
[Note 1: Joinville, p. 81.]
_Le roi se determine a rester en Syrie._
Le dimanche suivant, le roi assembla de nouveau les seigneurs de son
conseil et leur parla en ces termes: "Seigneurs, je suis egalement
oblige, et a ceux qui me conseillent de repasser en France, et a ceux
qui me conseillent de rester en Palestine, persuade que je suis que tous
n'ont en vue que mes interets et ceux de mon royaume. J'ai balance les
raisons des uns et des autres, et je me suis determine a ne pas quitter
la Palestine. Je sais que ma presence serait utile en France, mais elle
n'y est pas necessaire. La reine ma mere l'a gouvernee jusqu'a present
avec tant de sagesse que je puis m'en rapporter a ses soins: elle ne
manque ni d'hommes, ni d'argent; et, en cas que les Anglais fassent
quelque entreprise, elle est en etat de s'y opposer. Au contraire, si
je pars, le royaume de Jerusalem est perdu. Quelle honte si, etant venu
pour le delivrer de la tyrannie des infideles, je le laissais dans une
position pire que celle ou je l'ai trouve! Je crois donc que le service
de Dieu, et l'honneur de la nation francaise exigent que je demeure
encore quelque temps a Ptolemais. Ainsi, seigneurs, je vous laisse
le choix. Si vous voulez retourner dans votre patrie, _de par Dieu
soit_[1]; je ne pretends contraindre personne. Si vous voulez rester
avec moi, dites-le hardiment. Je vous promets que je vous donnerai tant,
que la coupe ne sera pas mienne, mais votre." Il voulait dire que ses
finances seraient plus pour eux que pour lui.
[Note 1: Ducange, _Observations sur Joinville_, p. 88.]
On ne saurait exprimer l'etonnement des princes et des barons, apres
cette declaration du monarque. Quelques-uns, honteux d'abandonner leur
souverain, se laisserent vaincre par les sentimens d'honneur et de
generosite. La plupart n'en disposerent pas moins toutes choses pour
leur retour. Les princes meme,
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