Thorotte, chatelain de Noyon, effraye de ce coup d'autorite, s'ecria
assez haut pour etre entendu: _Apres cela, il ne reste plus qu'a nous
faire tous pendre_. Louis, qui en fut averti, l'envoya chercher par ses
officiers de justice. _Vous voyez, lui dit-il, que je ne fais point
pendre mes barons, mais que je fais punir ceux qui violent les lois
de l'etat et de l'humanite_. Le malheureux gentilhomme vit bien qu'on
l'avait desservi; il se jette aux genoux du prince, proteste qu'il n'a
point tenu un pareil discours; et si son serment ne suffit pas, il offre
d'en donner trente chevaliers pour garans. Le monarque avait resolu
de le faire mettre en prison: content de lui avoir fait peur, il lui
ordonna d'etre plus circonspect a l'avenir.
_Louis forme une bibliotheque dans son palais._
Les sciences accompagnent ordinairement les heros. Louis, qui etait
fort instruit, aurait desire faire sortir les Francais de l'ignorance
prodigieuse ou ils etaient plonges; mais il n'y avait dans le royaume
aucun homme assez savant pour l'aider dans un si noble projet. Les
ecclesiastiques etaient les seuls qui sussent lire et ecrire. L'etude
de la philosophie etait tres-imparfaite: ceux qui s'y appliquaient
n'avaient pour guide de leurs raisonnemens qu'Aristote, qu'ils
n'etudiaient encore que sur des traductions tres-imparfaites: elles nous
etaient venues par les Arabes, qui avaient eu un siecle de lumieres,
mais tres-bornees. L'ignorance ou l'on etait des langues hebraique et
grecque, empechait d'etudier l'Ecriture-Sainte dans ses sources. Louis
etait peut-etre l'homme de son royaume le plus savant, et le mieux
instruit de ce que c'etait que la veritable science. Pour faciliter a
ceux dont l'etat etait de s'en occuper, les moyens d'etudier, il concut
le dessein de former dans son palais une bibliotheque, ou tout le monde
eut la liberte d'entrer. Il y venait quelquefois seul, sans toute la
suite de la royaute, aux heures que les affaires lui laissaient libres,
et se faisait un plaisir d'expliquer les endroits difficiles a ceux qui
voulaient en profiter, et qui souvent prenaient ses lecons sans savoir
que ce maitre si complaisant etait le roi. Dans le choix des livres
dont il composa cette bibliotheque, outre plusieurs originaux de saint
Augustin, de saint Ambroise, de saint Jerome, de saint Gregoire, et
d'autres Peres de l'Eglise latine, c'etait un grand nombre d'exemplaires
de l'Ecriture-Sainte, qu'il avait fait copier sur des manuscrits
au
|