Il fut arrete, conduit sur la place,
ou il eut la langue coupee. _Tel est_, criait un heraut, _le supplice
que merite un temeraire qui ose sonder les secrets du soudan_.
Severe censeur des perfidies d'autrui, il reprochait amerement aux
Chretiens d'avoir degenere des vertus de leurs ancetres, ces hommes si
fameux et si puissans, parce que l'honneur et la verite etaient leurs
plus cheres idoles. C'etait precisement, remarque l'auteur que nous
suivons, decouvrir un fetu dans l'oeil de son voisin, pendant qu'il
portait une poutre dans le sien. Lui-meme s'engageait, jurait,
promettait avec beaucoup de fermete, bien resolu de ne tenir sa parole
qu'autant qu'il y trouverait son interet. Mahomet, quoique son prophete,
lui paraissait moins grand que lui: il croyait avoir fait de plus
grandes choses; il meprisait surtout la puissance des Chretiens, et leur
milice etait l'objet continuel de ses railleries. Ils sont venus fondre
sur nos etats, disait-il, ces rois si fiers de France, d'Angleterre et
d'Allemagne. Quel a ete le succes de leurs entreprises? Ils ont eprouve
le sort de ces gros nuages que le moindre vent fait disparaitre. On le
loue cependant de sa continence; il n'avait que quatre femmes, dont la
plus cherie etait une jeune chretienne d'Antioche qu'il menait toujours
avec lui. Il detestait le vin et les femmes publiques, qui avilissent
l'homme en enervant son esprit et son courage. En vain on lui objecta
que ses predecesseurs tiraient de ce double commerce de quoi entretenir
au moins cinq a six mille soldats; il repondit constamment qu'il aimait
mieux un petit nombre de gens sobres, qu'une multitude effeminee de vils
esclaves, abrutis par la debauche et le vin.
Tel etait l'ennemi que Dieu avait suscite dans sa colere, pour punir les
abominations des chretiens de Syrie; ennemi d'autant plus redoutable que
la gloire et la superstition enflammaient egalement sa haine. Ce fut
pour se venger des chretiens qui violerent indignement la foi des
traites, qu'il leur jura une guerre eternelle. On ne voit pas neanmoins
qu'il ait rien entrepris contre eux les deux premieres annees de son
regne: il les employa sans doute a affermir sa domination.
Ceux-ci, au lieu de profiter de ce temps de repos, ne songerent
eux-memes qu'a se ruiner par leurs fatales divisions. Venise et Genes se
disputaient alors la possession d'un lieu nomme Saint-Sabas, que le pape
Alexandre IV leur avait accorde en commun: querelle qui ne finit que par
un
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