s.
Sur ces entrefaites le roi de Navarre, le comte de Poitiers, le comte de
Flandre, et un grand nombre d'autres croises entrerent dans le port. Des
le lendemain de leur arrivee, le roi tint conseil pour deliberer sur le
lieu ou l'on porterait la guerre, ou plutot pour leur faire agreer le
dessein qu'il avait concu.
Quand on partit d'Aiguemortes, on ne doutait point que ce ne fut pour
aller en Egypte ou en Palestine; mais l'intention du roi n'etait pas
d'y porter premierement la guerre. On fut fort surpris dans le conseil,
lorsque le roi declara que son dessein etait d'aller a Tunis, sur les
cotes d'Afrique.
"Quel rapport y avait-il entre la situation de quelques metifs sur les
cotes de Syrie, et le voyage du monarque a Tunis? C'est, observe un de
nos ecrivains[1], que Charles d'Anjou, roi ambitieux, cruel, interesse,
faisait servir la simplicite du roi son frere a ses desseins. Il
pretendait que cette couronne lui devait quelques annees de tribut; il
voulait conquerir tout ce pays, et saint Louis, disait-on, esperait d'en
convertir le roi."
[Note 1: Voltaire, dans son _Essai sur l'Histoire generale_.]
On a de la peine a concevoir comment cet auteur, avec autant d'esprit
qu'il en a, marque si peu de jugement. Est-il possible qu'il ait la
hardiesse de traiter saint Louis d'homme borne, dont le frere employait
la simplicite a la reussite de ses ambitieux desseins? S'il avait
consulte tous les historiens qui ont parle de Louis, ils lui auraient
dit qu'il etait le plus grand prince qui eut porte la couronne de la
monarchie francaise; ils lui auraient dit que c'etait l'homme le plus
religieux, le plus sage, le plus juste et le plus prudent de son
royaume; ils lui auraient appris qu'il etait l'homme de son temps le
plus brave et le plus courageux sans temerite; ils lui auraient dit
qu'il etait craint, aime et respecte par tous les potentats de l'Europe,
qui le choisissaient pour arbitre dans leurs differends; ils lui
auraient dit qu'excepte quelques guerres qu'il avait eu a soutenir dans
le commencement de son regne, pour faire rentrer dans le devoir quelques
vassaux indociles, il fit regner dans la France une solide paix, qui
ne souffrit depuis aucune alteration, et que les peuples, sous son
gouvernement, ont joui de la plus grande felicite. Est-ce la le
caractere d'un prince simple, qui se laisse gouverner par son frere?
Quand cet auteur demandera d'un ton ironique sur quel fondement nos
historiens disent que s
|