lui baiserent respectueusement les mains, et lui donnerent a
entendre par leurs signes qu'ils voulaient etre chretiens, et recevoir
le bapteme. On en porta aussitot la nouvelle au roi, qui ordonna de les
traiter avec bonte, mais en meme temps de les garder a vue. Une heure
apres, cent autres Sarrasins, bien armes, vinrent aussi se rendre avec
les memes demonstrations. Les croises les recurent comme leurs freres;
mais ces traitres, voyant qu'on ne se defiait point d'eux, mirent le
sabre a la main, et chargerent les premiers venus. Ils etaient soutenus
par une autre troupe qui parut tout-a-coup, et fondirent avec fureur sur
le tranquille bouteiller. On cria aux armes; tout le camp s'emut: il
n'etait plus temps; deja les perfides avaient tue plus de soixante
hommes, et s'etaient retires. Le malheureux Jean d'Acre, pique d'une
pareille trahison, meditait de s'en venger sur les trois Sarrasins qu'il
avait en sa garde: il courut a sa tente, resolu d'en faire justice. Ils
se jeterent a ses pieds en pleurant: "Seigneur, lui dit le plus apparent
des trois, je commande deux mille cinq cents hommes, au service du roi
de Tunis; un autre capitaine comme moi, homme jaloux de mon elevation,
a cru me perdre en vous faisant une trahison: je n'y ai aucune part. Si
vous voulez relacher l'un de nous pour aller avertir mes soldats, je
vous promets sur ma tete, qu'il en amenera plus de deux mille, qui
se feront chretiens, et qui vous apporteront toutes sortes de
rafraichissemens." Le roi, informe de la chose, reflechit quelques
momens, et dit ensuite "Qu'on les laisse aller sans leur faire de mal.
Je crois que ce sont des perfides qui nous trompent: mais il vaut mieux
s'exposer au risque de sauver des coupables, que de faire perir des
innocens." Le connetable fut charge de les conduire hors du camp. Ils
avaient promis de revenir; on n'en entendit point parler depuis.
Quelque importante que fut la prise de Carthage, elle n'assurait
point celle de Tunis, ville tres-fortifiee pour ce temps-la, defendue
d'ailleurs par une armee considerable. Ce n'etait pas ce qu'on avait
promis au roi lorsqu'il etait encore en France; il vit bien qu'il
fallait se tenir sur la defensive, en attendant le roi de Sicile, qui,
au rapport d'Olivier de Termes, devait arriver incessamment. Ainsi, son
premier soin fut de mettre son camp a l'abri des frequentes alarmes
que lui donnaient les Africains: il le fit environner de fosses et de
palissades. Les travaux etaient a
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