s certain que ce retardement fut cause de la perte de l'armee,
qui par la se vit exposee aux plus grandes chaleurs de la canicule. Ce
fut sans doute un cruel exercice pour la patience du saint roi: il le
soutint avec un courage que la religion seule peut inspirer. Contraint
de quitter Aiguemortes, a cause du mauvais air, il alla s'etablir a
Saint-Gilles, ou il tint une cour pleniere avec cette magnificence qui
lui etait ordinaire dans les occasions d'eclat.
Les croises cependant arrivaient en foule de tous cotes: bientot
Aiguemortes se trouva trop petite pour contenir une si grande multitude;
les chefs se disperserent dans les villes et dans les bourgades des
environs: il ne resta aupres des drapeaux que des soldats, et ceux qui
n'avaient pas le moyen d'aller ailleurs. C'etait un melange singulier
de toutes sortes de nations, Francais, Provencaux, Catalans, populace
effrenee qui etait dans de continuelles disputes. On ne tarda pas a voir
naitre des querelles; on en vint aux mains: plus de cent hommes avaient
ete tues avant qu'on y put mettre ordre. Tel fut l'acharnement des
Francais en une de ces melees, qu'apres avoir mis en deroute, et
Provencaux et Catalans, ils les poursuivirent jusque dans la mer, ou ces
malheureux s'etaient precipites pour gagner leurs vaisseaux a la nage.
L'eloignement des commandans favorisait le tumulte. Louis, pour en
arreter les suites, se transporta lui-meme sur les lieux, fit punir de
mort les plus mutins, et le calme fut entierement retabli.
La haute idee qu'on avait de la sagesse, des lumieres et de la probite
du monarque, la grande consideration que la cour de Rome avait pour lui,
et plus encore la crainte de ses armes, lui procurerent dans ce meme
temps une celebre ambassade, qui le vint trouver a Saint-Gilles de la
part de Michel Paleologue, empereur de Constantinople. Ce prince, depuis
neuf ou dix ans, avait surpris cette capitale de l'empire de l'Orient,
que les empereurs latins avaient possedee pres de soixante et dix ans;
et, en consequence de cette conquete, l'empire qui avait ete enleve aux
Grecs par Baudouin 1er, etait retourne a ses anciens maitres, du temps
de Baudouin II. Le prince grec n'ignorait ni les grands preparatifs du
roi de Sicile, ni ses liaisons etroites avec l'empereur detrone. Pour
conjurer l'orage, il imagina de proposer la reunion des deux Eglises
grecque et latine. Il ne doutait point que la piete de Louis ne lui fit
embrasser avec joie une si belle occasion
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