e Chypre, il ne vous en reste pas cent,
la plupart malades, n'ayant ni equipages, ni argent pour en avoir. Vous
n'avez pas une seule place dont vous puissiez disposer. Enfin, suppose
que vous pensiez a continuer la guerre contre les infideles, il faut
pour cela meme passer la mer, afin de faire un nouvel armement, et
revenir avec de plus grandes forces; au lieu que dans l'extremite ou
vous vous trouvez, vous n'etes point en etat de rien entreprendre, mais
dans un danger evident de perir sans honneur et sans tirer l'epee."
Ce discours fit beaucoup d'impression sur l'esprit du roi; et, quoique
Mauvoisin, en commencant, eut dit qu'il parlait au nom de presque toute
l'assemblee qui, par son silence, semblait approuver ses remontrances,
cependant le roi voulut avoir les avis de tous en particulier. Il
commenca par les comtes de Poitiers et d'Anjou, ses freres; apres eux
il fit parler le comte de Flandre et plusieurs autres seigneurs:
tous repondirent qu'ils etaient entierement du sentiment du seigneur
Mauvoisin. Quand le roi demanda celui de Jean d'Ybelin, comte de Jaffe,
il se defendit d'abord de le dire, parce que, possedant plusieurs places
dans la Palestine, il paraitrait parler pour ses propres interets, s'il
etait d'un sentiment contraire a celui de tant de braves chevaliers. Le
roi l'obligea toutefois de parler, et il dit que, suppose que le roi ne
fut pas dans une entiere impuissance d'avoir des troupes capables de
tenir la campagne, il etait de la gloire d'un aussi grand prince que lui
de demeurer en Palestine, avec l'esperance d'avoir quelques avantages
sur les Sarrasins; qu'il lui serait honteux de se retirer sur sa perte,
et de paraitre en Europe avec les debris de son armee et tout le mauvais
equipage d'un prince vaincu, sans avoir fait quelques efforts pour
reparer une disgrace, plus glorieuse peut etre que bien des victoires,
mais qu'une retraite precipitee pouvait neanmoins rendre honteuse.
Joinville, qui ne put parler que le quatorzieme, embrassa ce dernier
avis. "Le roi, ajouta-t-il, en employant une partie de son tresor,
qui se trouve encore tout entier, levera aisement de bonnes troupes.
Lorsqu'on saura qu'il paie largement, on viendra en foule se ranger
sous ses etendards: la Moree et les pays voisins lui fourniront des
chevaliers et des soldats en abondance. Ainsi l'exigent et la gloire
de notre souverain, et le salut de nos compagnons captifs, qu'on met
peut-etre par milliers a la torture, au moment
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