ontagieuses qui l'avaient precedee,
et qui avaient fait perir la plus grande partie de l'armee. Tous les
princes chretiens firent paraitre leur douleur d'un si funeste desastre:
toute l'Europe prit part a cette perte, qui etait commune a toute la
chretiente.
La reine Blanche y fut plus sensible que tous les autres; cependant,
loin de se laisser accabler par la douleur, elle s'occupa des moyens de
remedier a un mal si pressant: elle n'omit ni exhortations, ni caresses,
ni prieres, pour engager les sujets du roi a faire les derniers efforts,
afin de payer sa rancon, celle de tant de braves seigneurs, et pour
envoyer du secours a Damiette, dont la conservation repondait en quelque
sorte de la vie du roi son fils.
Mais tous les mouvemens que la captivite du roi causa dans l'Europe
eurent peu d'effet, et en produisirent au contraire un tres-facheux; qui
fut un exemple des illusions dont le peuple est susceptible, et qui le
conduisent ordinairement aux plus grands exces de fanatisme.
_Mouvemens des Pastoureaux_.
Un Hongrois, nomme Jacob, age de soixante ans, apostat de l'ordre de
Citeaux et meme de la religion chretienne, car il avait secretement
embrasse celle de Mahomet, etait en Europe l'espion du soudan d'Egypte.
Une tres-longue barbe qui lui descendait presque jusqu'a la ceinture, un
visage pale et decharne, des yeux enfonces, mais etincelans, une grande
abondance de larmes qu'il avait a commandement, un exterieur enfin
penitent et tout en Dieu, parlant d'ailleurs avec une espece d'eloquence
simple plusieurs langues de l'Europe, lui donnerent un si grand credit
sur l'esprit de la populace, qu'elle crut qu'il etait veritablement
envoye de Dieu. Ce scelerat, que l'usage des fourberies avait rendu
habile a contrefaire le prophete, s'adressa aux gens de la campagne et
surtout aux bergers, et entreprit de leur persuader que Dieu voulait se
servir d'eux pour delivrer la Terre-Sainte et le roi de la tyrannie des
Sarrasins; que la divine Providence avait fait avorter tous les desseins
de ces grands du monde qui se confiaient dans leur force, afin de
se reserver la gloire d'exterminer les Mahometans par les mains des
faibles; que Jesus-Christ qui, etant sur la terre, s'etait donne le
nom de Pasteur et d'Agneau de Dieu, avait jete les yeux, pour ce grand
oeuvre, sur ceux qui menaient une vie simple dans la conduite des
troupeaux. Il sut si bien faire valoir cette extravagance, a la faveur
de quelques tours de charlatan, qu
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