res, laissa tranquillement rugir ces betes feroces, ne
montrant ni moins de serenite, ni moins de dignite que s'il eut ete
a quelque ceremonie d'eclat au milieu de ses barons. Cette constance
heroique lui attira l'admiration de ces infames parricides; ils
s'adoucirent tout d'un coup, et se prosternant jusqu'a terre: _Ne
craignez, rien, Seigneur_, lui dirent-ils, _vous etes en surete; il
fallait que les choses se passassent comme elles viennent d'arriver:
nous ne vous demandons que l'execution du traite, et vous etes libre_.
On dit meme qu'ils furent si touches de son intrepidite, qu'ils mirent
en deliberation de le choisir pour leur soudan; mais le voyant si ferme
dans ce qui regardait sa religion, ils apprehenderent qu'il ne renversat
bientot toutes leurs mosquees. Un jour le saint monarque s'entretenant
de cette aventure avec Joinville, lui demanda s'il croyait qu'il eut
accepte la couronne d'Egypte. Le naif senechal repondit[1], _qu'il
eut fait en vrai fol, vu qu'ils avoient ainsi occis leur seigneur. Or
scachez_, reprit Louis, _que je ne l'eusse mie refusee_. Tel etait
le zele de ce prince veritablement chretien, que dans l'esperance de
convertir ces infideles, il se fut expose a une mort certaine.
[Note 1: Joinville, page 73.]
Le lendemain, les emirs envoyerent demander communication du traite fait
avec le soudan. Le comte de Flandre, le comte de Soissons, et plusieurs
seigneurs, allerent leur parler a ce sujet. Les emirs leur repeterent ce
qu'ils avaient deja dit au roi, que le dessein du soudan, sitot qu'il
eut ete en possession de Damiette, etait de lui faire couper la tete, et
a tous les seigneurs francais, et que, pour marque de sa perfidie, il
en avait deja envoye quelques-uns au Grand-Caire, ou il les avait fait
massacrer.
Cependant le traite fut confirme; mais les emirs voulurent que la moitie
de la rancon fut payee avant le depart du roi, et il y consentit. Il fut
question de faire un nouveau serment de part et d'autre: les emirs
le firent a leur maniere, et le roi le recut; mais il voulurent lui
prescrire la forme du sien. Ils en avaient fait composer la formule par
quelques renegats, en cette maniere: "Qu'au cas que le roi manquat a sa
promesse, il consentait d'etre a jamais separe de la compagnie de Dieu
et de la Vierge Marie, des douze apotres, des saints et saintes du
Paradis." Le roi n'eut aucune peine sur ce point-la; mais la seconde
partie lui fit horreur. On voulait qu'il s'exprimat en ces
|