et l'approche de l'armee ennemie, tenaient la reine et les
comtesses d'Anjou et de Poitiers dans de mortelles alarmes. Le duc de
Bourgogne et Olivier de Termes, qui commandaient la garnison, avaient
toutes les peines du monde a les rassurer. Les Genois et les Pisans
furent sur le point d'abandonner la ville et de s'enfuir sur leurs
vaisseaux. Il fallut que la reine s'obligeat de leur fournir des vivres
a ses depens pour obtenir qu'ils demeurassent. Elle etait accouchee
avant terme d'un fils, qui fut nomme Jean, et surnomme Tristan, pour
marquer la triste et facheuse conjoncture de sa naissance. Cette couche
prematuree avait ete l'effet de sa douleur et de son chagrin; elle etait
dans de si terribles apprehensions, qu'il ne se passait pas de nuit que,
troublee par des songes effrayans, elle ne crut voir les Sarrasins en
furie attenter a la vie du roi son mari, ou entrer en foule dans sa
chambre pour l'enlever elle-meme; elle se tourmentait, s'agitait, et
sans fin s'ecriait: _A l'aide! a l'aide!_ On fut oblige de faire veiller
dans sa chambre un _chevalier vieil et ancien_, dit Joinville[1], _age
de quatre-vingts ans et plus, arme de toutes pieces_, qui, toutes les
fois que ces tristes imaginations la reveillaient, lui prenait la main
_et lui disait: Madame, je suis avec vous; n'ayez peour_. Un jour, ayant
fait retirer tout le monde, excepte ce brave vieillard, elle se jeta a
genoux: _Jurez-moi_, lui dit-elle, _que vous m'accorderez ce que je
vas vous demander_. Il le lui promit avec serment. _Eh bien, sire
chevalier_, reprit-elle, _je vous requiers, sur la foi que vous m'avez
donnee, que, si les Sarrasins prennent cette ville, vous me coupiez la
tete avant qu'ils me puissent prendre_. Ce bon gentilhomme repondit _que
tres-volontiers il le feroit, et que ja l'avoit-il eu en pensee d'ainsi
le faire si le cas y echeoit_.
[Note 1: Joinville, pages 78 et 79.]
_Le roi est mis en liberte et Damiette est rendue_.
L'arrivee du roi remit un peu les esprits: il n'entra pas dans la place,
mais le seigneur Geoffroy de Sargines fut charge de donner les ordres
pour la reddition. La reine, les princesses et les autres dames furent
transportees sur les vaisseaux. On laissa dans la ville les malades, les
machines et les magasins, jusqu'a ce qu'on put les retirer, suivant un
des articles du traite.
On ne fut pas long-temps a connaitre qu'on avait affaire a des gens sans
foi et sans honneur, car ils firent main-basse sur tous les mal
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