ades;
et ayant brise les machines qu'ils s'etaient engages de rendre, ils y
mirent le feu, et les brulerent toutes. Ils n'en demeurerent pas-la. Les
generaux sarrasins mirent en deliberation s'ils ne traiteraient pas le
roi et les autres prisonniers comme ils avaient traite les malades.
Un des emirs soutint qu'il ne fallait pas balancer, et que c'etait
l'Alcoran meme qui ordonnait de ne point faire de quartier aux ennemis
de leur loi. Il ajouta que, quand on se serait defait du roi de France,
et de la fleur de la noblesse francaise, on n'aurait point de vengeance
a craindre, parce que ce prince n'avait que des enfans en bas age. Peu
s'en fallut que cet emir n'entrainat tout le conseil dans son sentiment;
mais comme il se rencontre toujours quelque homme d'honneur dans les
assemblees les plus devouees au crime, un autre emir s'opposa a cette
resolution. Il representa l'infamie qui en retomberait sur toute la
nation, ce qu'on dirait des Mamelucks dans toute la terre, quand on
apprendrait qu'apres avoir massacre leur soudan, et apres un traite
confirme par les sermens les plus solennels, ils avaient encore trempe
leurs mains dans le sang d'un prince et de tant de braves hommes allies
a toutes les puissances de l'Europe.
Un avis si raisonnable ne fit pas toutefois conclure en faveur des
prisonniers, mais il suspendit au moins la fureur qui s'etait emparee
des esprits.
En attendant qu'on eut pris une derniere resolution, un des emirs,
autorise par le plus grand nombre, donna ordre aux mariniers sarrasins
de remonter les vaisseaux vers le Grand-Caire: ce qui fut execute
sur-le-champ, _dont fut mene entre nous un tres-grand deuil_, ainsi que
s'exprime le bon senechal[1], _et maintes larmes en issirent des yeux;
car nous esperions tous qu'on dut nous faire mourir_.
[Note 1: Joinville, p. 74.]
Mais enfin la reflexion que firent les Mamelucks, qu'ils se rendraient
par cette perfidie l'execration de l'univers, la crainte d'attirer sur
eux la vengeance de toute l'Europe, et, plus que tout cela, la crainte
de perdre les huit cent mille besans d'or qu'on leur avait promis, les
ramenerent a un avis plus sage, et soutinrent en eux un reste de bonne
foi pret a s'echapper. _Ainsi, comme voulut Dieu qui n'oublie jamais ses
serviteurs, il fut accorde que tous seroient delivres, et les fit-on
revenir vers Damiette_. On voulut meme les regaler avant de les quitter:
on leur apporta _des beignets de fromage rotis au soleil, et des oeuf
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