le camp ne fut
plus qu'un hopital ou un cimetiere. Pour comble de malheur, la famine
suivit de pres toutes ces miseres. Les Sarrasins enlevaient tous les
convois que la reine faisait embarquer a Damiette. Rien ne venait par
terre. Les vivres, en peu de jours, furent a un prix excessif. Cette
epreuve ne put vaincre la constance et la charite du saint roi; il ne
parut jamais plus grand que dans cette cruelle extremite.
La bonne fortune n'avait point eleve son coeur, la mauvaise ne fut
point capable de l'abattre. Il donnait ordre a tout; il voyait tout par
lui-meme. En vain les seigneurs de sa suite lui representerent qu'il
exposait sa vie, en visitant chaque jour des malheureux attaques d'un
mal pestilentiel; ils n'en recurent d'autre reponse, sinon qu'il n'en
devait pas moins a ceux qui s'exposaient tous les jours pour lui. Il
leur portait des medicamens, les soulageait de son argent, les consolait
par ses exhortations. Guillaume de Chartres, l'un de ses chapelains,
rapporte qu'etant alle exhorter a la mort un ancien valet-de-chambre du
roi, nomme Gaugelme, fort homme de bien, serviteur fidele et tres-cheri:
"J'attends mon saint maitre, dit le moribond. Non, je ne mourrai point
que je n'aie eu le bonheur de le voir." Il arriva en effet dans le
moment; et, a peine fut-il sorti, que le malade expira dans les
sentimens de la plus parfaite resignation.
Mais l'evenement ne justifia que trop ce que tout le monde avait prevu.
Le saint roi fut attaque du meme mal, avec une violente dyssenterie, et
son courage, qui l'avait soutenu jusque-la contre tant de fatigues, ceda
enfin a la contagion de l'air et a la delicatesse de sa complexion; il
se vit reduit tout a coup a une extreme faiblesse.
Dans cette extremite, on prit la resolution de quitter ce camp et de
faire retraite vers Damiette. C'etait une chose tres-difficile. Les
Sarrasins qui voyaient bien que l'armee chretienne serait forcee
de prendre ce parti, avaient une armee toute prete a charger
l'arriere-garde durant la marche, et ce n'etait pas la le plus grand
danger.
Il y avait du camp a Damiette pres de vingt lieues, et il fallait les
faire a travers une multitude innombrable d'ennemis qui gardaient tous
les passages; mais c'etait une necessite, il fallut tout hasarder.
Avant que le roi se mit en marche, il fit passer tous les malades
et tous les bagages; il les suivit etant malade lui-meme, et confia
l'arriere-garde a Gaucher de Chatillon. Au premier mouvement q
|