les deux intrepides
chevaliers conduisirent le monarque jusqu'a une petite ville nommee par
Joinville Casel[1], et par d'autres Sarmosac, ou Charmasac. _La_, dit
Joinville, _il fut descendu au giron d'une bourgeoise de Paris_[2].
_Telle etoit sa foiblesse, que tous les cuiderent voir passer, et
n'esperoient point que jamais il put passer celui jour sans mourir_.
[Note 1: Joinville, page 77.]
[Note 2: Il faut croire que c'etait apparemment une femme de Paris, qui,
par quelque aventure extraordinaire, etait etablie dans cette ville si
eloignee de sa patrie.]
Chatillon cependant qui veillait a la gloire et a la surete de ce
prince, defendit long-temps seul l'entree d'une rue etroite qui
conduisait a la maison ou etait le roi. On voyait Chatillon tantot
fondre sur les infideles, abattant et tuant tous ceux dont il avait pu
prevenir la fuite par sa vitesse; tantot faisant retraite pour arracher
de son ecu, de sa cuirasse, et meme de son corps, les fleches et les
dards dont ils etaient herisses. Il retournait ensuite avec plus de
furie, et se dressant sur les etriers, il criait de toute sa force: _A
Chatillon! chevaliers, a Chatillon! et ou sont mes prud'hommes?_ Mais,
en vain; personne ne paraissait. Accable enfin par la foule, epuise de
fatigue, tout couvert de traits, et perce de coups, il tomba mort en
defendant la religion et son roi. Ainsi perit Gaucher de Chatillon,
jeune seigneur de vingt-huit ans. Heureux si, en s'immolant pour le
bien public, il eut pu garantir des malheurs auxquels il fut expose, un
prince qui meritait de pareils sacrifices! Mais Dieu en avait autrement
ordonne: il voulut que Louis donnat au monde le spectacle d'une autre
sorte de gloire que les chretiens seuls savent trouver dans les
souffrances, l'opprobre et l'ignominie.
Cependant les restes de l'arriere-garde arriverent, toujours poursuivis,
toujours faisant une vigoureuse resistance. Philippe de Montfort vint
trouver le roi pour lui dire _qu'il venoit de voir l'emir avec lequel on
avoit traite d'une treve quelques jours auparavant, et que si c'etoit
son bon plaisir, que encore derechef il lui en iroit parler_. Le
monarque y consentit, promettant de se soumettre aux conditions que le
soudan avait d'abord demandees. Le Sarrasin ignorait l'etat pitoyable ou
les croises etaient reduits. Montfort connaissait l'impatience qu'avait
le soudan de se voir en possession de Damiette. Tout ce qu'il avait vu
faire aux Francais lui donnait lieu de c
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