tout particulier,
inconnu aux Europeens, et dont le secret s'est perdu. Ils le jetaient
avec une espece de mortier ou de pierrier, ou bien avec des arbaletes a
tour, desquelles on le decochait, apres les avoir fortement bandees par
le moyen d'une manivelle qui avait beaucoup plus de force que les
bras. Celui principalement qu'on lancait avec le mortier paraissait
quelquefois en l'air de la grosseur d'un tonneau: on le soufflait aussi
dans les combats avec de longs tuyaux de cuivre. "_Celui surtout qu'on
lancoit avec le mortier_, dit Joinville[1], sembloit a qui guettoit un
dragon volant par l'air, et repandoit si grande clarte, qu'il faisoit
aussi clair dedans notre _ost_, camp, comme le jour, tant y avoit grand
flame de feu. Un soir avint que les Turcs amenerent cet engin terrible,
engin a mal faire, par lequel ils nous jeterent le feu gregeois a
plante, qui etoit la plus terrible chose que oncques jamais je visse.
A donc, s'ecria messire Gauthier, mon compagnon, seigneur, nous sommes
perdus a jamais sans nul remede; car s'ils brulent nos chatz-chateils,
nous sommes ars et brules; si nous laissons nos gardes, nous sommes
ahontes. Parquoi, que chacun se jette a genoux, et crions mercy a notre
Seigneur, _en qui est toute puissance_." Ils le firent, et le redoutable
feu ne leur causa aucun dommage. Le saint roi, de son cote, etait
toujours prosterne en terre, et criait a haute voix: _Beau sire_, Dieu
Jesus-Christ, garde-moi et toute ma gent, _et crois moi_, continue le
senechal de Champagne, _que ses bonnes prieres et oraisons nous eurent
bon metier_. Nos Francais savaient le secret d'eteindre ce feu, et ils y
reussirent quelquefois. Les infideles le jetaient plus souvent la nuit
que le jour; mais une fois, en plein jour, apres avoir fait pendant
quelque temps des decharges continuelles de leurs pierriers contre les
beffrois et aux environs, pour ecarter tous ceux qui etaient sur le bord
de la riviere, ils jeterent leur feu si juste et si heureusement, qu'il
ne put etre eteint, et qu'il consuma les beffrois et les galeries. Le
comte d'Anjou etait present, et se desesperait de voir que ce malheur
arrivait dans le temps de sa garde. On eut toutes les peines du monde
a l'arreter et a l'empecher de se jeter lui-meme au milieu du feu pour
tacher de l'eteindre.
[Note 1: Joinville, p. 39.]
Cet accident chagrina fort le roi, d'autant plus qu'en ce pays-la on ne
trouvait point de bois propres a reparer ce dommage.
Il y avai
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