il fit un assez grand carnage dans la premiere ligne, et forca les
fuyards de se jeter dans le Nil, ou la plupart se noyerent; mais il
ne voulut pas attaquer la seconde ligne, a cause de la multitude des
pierriers qui tiraient sans cesse au travers de ses bataillons, et
blessaient beaucoup de monde. Ce prince fit paraitre beaucoup de valeur
en cette occasion, ou il se mela plusieurs fois avec les ennemis, et
s'acquit une grande reputation parmi les troupes.
Lorsque le roi eut assure l'assiette de son camp, il fit prendre
les mesures necessaires pour passer le Thanis. L'entreprise etait
tres-difficile a executer: il etait large et profond: tout ce que
l'Egypte avait de plus brave etait sur le rivage oppose, dans la
resolution de defendre courageusement un passage de cette consequence.
Le saint roi vit bien que tant d'obstacles ne seraient point aises a
surmonter. Pour en venir a bout, on resolut de construire une digue,
ou chaussee, dans la riviere, et de la pousser le plus pres que l'on
pourrait de l'autre bord; ensuite, pour couvrir les travailleurs, on fit
elever sur le bord de la riviere deux beffrois: c'etaient des especes de
tours a plusieurs etages, faites de charpentes semblables a celles
dont on se servait dans les attaques des villes; on y logeait des
arbaletriers, ou des archers, pour ecarter les ennemis a coups de
fleches, et on les couvrait de cuir de boeuf ou de cheval, pour les
garantir des feux d'artifice des ennemis. Derriere ces tours on avait
fait deux chatz-chateils: c'est le nom que l'on donnait a des galeries
pour aller a couvert dans les beffrois. Le comte d'Anjou commandait dans
cet endroit pendant le jour, et le sire de Joinville pendant la nuit.
Sitot que les ennemis eurent devine le projet des Francais, ils firent
transporter de ce cote-la seize grosses machines qui lancaient sans
cesse des pierres contre les travailleurs et contre les tours. Le roi,
pour demonter ces machines, et pour empecher les ennemis d'approcher de
si pres, en fit faire dix-huit a peu pres pareilles, de l'invention d'un
ingenieur nomme Josselin de Courvant, homme tres-habile, qu'il avait
amene d'Europe. Les grands efforts, de part et d'autre, se firent en
cet endroit: c'etait une grele continuelle de pierres et de fleches qui
tuaient beaucoup de soldats. Malgre cet obstacle, la chaussee s'avancait
toujours. Mais ce fut quelque chose de bien plus epouvantable, lorsque
les ennemis eurent prepare leur feu gregeois, artifice
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