nombre de leurs fantassins s'etaient retires dans les
maisons, dont une partie etait en flammes. C'est la ou nous nous
battimes avec acharnement et corps a corps. Le carnage fut terrible;
nous etions divises; chacun se battait pour son compte. Je me trouvais
pres de notre colonel, le plus ancien colonel de France, qui avait
fait les campagnes d'Egypte. Il etait, dans ce moment, conduit par un
sapeur qui le soutenait en le tenant par le bras; pres de lui etait
aussi l'adjudant-major Roustan; nous nous trouvions a l'entree d'une
espece de ferme ou beaucoup de Russes s'etaient retires et etaient
bloques par des hommes de notre regiment; ils n'avaient, pour toute
retraite, qu'une issue dans la grande cour, mais fermee par une
barriere qu'ils etaient obliges d'escalader.
Pendant ce combat isole, je remarquai, dans la cour, un officier russe
monte sur un cheval blanc, frappant a coups de plat de sabre sur ses
soldats qui se pressaient de fuir en voulant sauter la barriere, et ne
lui laissaient aucun moyen de se sauver. Il finit cependant par se
rendre maitre du passage, mais, au moment ou il allait sauter de
l'autre cote, son cheval fut atteint d'une balle et tomba sous lui, de
maniere que le passage devint difficile. Alors les soldats russes
furent forces de se defendre. Des ce moment, le combat devint plus
acharne. A la lueur des flammes, ce n'etait plus qu'une vraie
boucherie. Russes, Francais etaient les uns sur les autres, dans la
neige, se tuant a bout portant.
Je voulus courir sur l'officier russe qui s'etait degage de dessous
son cheval, et qui cherchait, aide de deux soldats, a se sauver en
passant la barriere; mais un soldat russe m'arreta a deux pas du bout
du canon de son fusil, et fit feu; probablement qu'il n'y eut que
l'amorce qui brula, car, si le coup avait parti, c'en etait fait de
moi; sentant que je n'etais pas blesse, je me retirai a quelques pas
de mon adversaire qui, pensant que j'etais dangereusement blesse,
rechargeait tranquillement son arme. L'adjudant-major Roustan, qui se
trouvait pres du colonel et m'avait vu en danger, courut sur moi et,
me prenant dans ses bras, me dit: "Mon pauvre Bourgogne, n'etes-vous
pas blesse?--Non, lui repondis-je.--Alors ne le manquez pas!" C'etait
bien ma pensee. En supposant que mon fusil manquat (chose qui arrivait
souvent, a cause de la neige), j'aurais couru dessus avec ma
baionnette. Je ne lui donnai pas le temps de finir de recharger,
qu'une balle l'avait dej
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