battre par la cruelle extremite
ou ils se trouvaient reduits, n'en etaient que plus enrages a courir
sur les pieces de canon qui les ecrasaient.
Le general anglais Wilson[31], present a cette bataille, la nomme la
bataille des heros; ce n'etait certainement pas parce qu'il y etait,
car ce mot n'est applicable qu'a nous qui, avec quelques mille hommes,
nous battions contre toute l'armee russe, forte de 90 000 hommes.
[Note 31: Ce general anglais servait dans l'armee russe.]
Le general Longchamps, avec le reste de ses hommes, dut abandonner ses
pieces de canon, dont presque tous les chevaux etaient tues, et suivre
notre mouvement de retraite en profitant des accidents de terrain et
des maisons, pour se retirer en se defendant.
A peine commencions-nous a entrer dans Krasnoe, que les Russes, avec
leurs pieces montees sur des traineaux, vinrent se placer aux
premieres maisons, nous lacherent plusieurs coups de canon charges a
mitraille. Trois hommes de notre compagnie furent atteints. Un
biscaien qui toucha mon fusil, et qui en abima le bois en me rasant
l'epaule, atteignit a la tete un jeune tambour qui marchait devant
moi, le tua sans qu'il fit le moindre mouvement.
Krasnoe est partagee par un ravin qu'il faut traverser. Lorsque nous y
fumes arrives, nous y vimes, dans le fond, un troupeau de boeufs morts
de faim et de froid; ils etaient tellement durcis par la gelee, que
nos sapeurs ne purent en couper a coups de hache. Les tetes seules se
voyaient, et ils avaient les yeux ouverts comme s'ils eussent ete
encore en vie; leurs corps etaient couverts de neige. Ces boeufs
appartenaient a l'armee et n'avaient pu nous joindre; le grand froid
et le manque de vivres les avaient fait perir.
Toutes les maisons de cette miserable ville, ainsi qu'un grand couvent
qui s'y trouve, etaient remplies de blesses, qui, en s'apercevant que
nous les abandonnions aux Russes, jetaient des cris dechirants. Nous
etions obliges de les abandonner a la brutalite d'un ennemi sauvage et
sans pitie, qui depouillait ces malheureux blesses, sans avoir egard
ni a leur position, ni a leurs blessures.
Les Russes nous suivaient encore, mais mollement; quelques pieces
tiraient encore sur la gauche de la route, mais ils ne pouvaient nous
faire grand mal; le chemin sur lequel nous marchions etait encaisse;
les boulets passaient au-dessus et ne pouvaient nous atteindre, et la
presence du peu de cavalerie qui nous restait et qui marchait aussi
sur
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