porta sur la crainte.
J'en ramassai autant qu'il me fut possible, j'en fis un bon tas que je
mis pres de moi, de maniere a le pouvoir prendre sans me bouger, et me
chauffer ainsi jusqu'au jour. Je ramassai aussi plusieurs schabraques
pour mettre sous moi, et, enveloppe dans ma peau d'ours, le dos tourne
au caisson, je me disposai a passer ainsi le reste de la nuit.
En mettant du bois sur mon feu, je m'apercus qu'il se trouvait, parmi
les morceaux, une cote de cheval, et, quoiqu'on l'eut deja rongee, il
y restait encore assez de viande pour apaiser la faim qui commencait a
me devorer, et, quoique couverte de neige et de cendres, c'etait, pour
le moment, beaucoup plus que je n'aurais ose esperer. Depuis la
veille, je n'avais mange que la moitie d'un corbeau que j'avais trouve
mort, et, le matin avant mon depart, quelques cuillerees de soupe de
gruau melangee de morceaux de paille d'avoine et de grains de seigle,
et salee avec de la poudre.
A peine ma cotelette etait-elle chaude, que je commencai a mordre,
malgre les cendres qui servaient d'assaisonnement. Je fis, de cette
maniere, mon triste repas, en regardant de temps a autre, a droite et
a gauche, si je ne voyais rien autour de moi qui put m'inquieter.
Depuis que j'etais dans ce fond, ma position s'etait un peu amelioree.
Je ne marchais plus, j'etais a l'abri du vent et du froid, j'avais du
feu et a manger. Mais j'etais tellement fatigue que je m'endormis en
mangeant, mais d'un sommeil agite par la crainte, et interrompu par
les douleurs que j'avais dans les cuisses: il semblait que l'on
m'avait roue de coups. Je ne sais combien de temps je me reposai,
mais lorsque je m'eveillai, il n'y avait pas encore d'apparence que
le jour dut venir de sitot, car, en Russie, les nuits sont longues.
C'est le contraire en ete; il n'y en a presque pas.
Lorsque je m'etais endormi, je m'etais mis les pieds dans les cendres.
Aussi, en me reveillant, je les avais chauds. Je savais par experience
que le bon feu delasse et apaise les douleurs; c'est pourquoi je me
disposai a en faire un en mettant le feu au caisson, en y ajoutant
tout ce qui pourrait etre susceptible de bruler. Aussitot, ramassant
et reunissant tout le bois que je pus trouver, ainsi que les coffres
brises, et en ayant mis une partie contre, je n'avais qu'a pousser mon
feu et a l'incendier.
Cependant, je voulus encore attendre quelque temps, car je pensais que
si mon feu, jusqu'a present, ne m'avait attire aucun de
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