debarrasse de la
marmite, ainsi que de ma peau d'ours et de mon fourniment, je fus
conduit dans le fond de l'habitation ou l'on me coucha sur un lit de
camp garni de peaux de mouton. Les femmes avaient l'air de nous
plaindre, en voyant comme nous etions malheureux, particulierement
moi, qui etais si jeune et avais bien plus souffert que mon camarade:
la grande misere m'avait rendu si triste, que je faisais peine a voir.
Le vieillard s'etait occupe de faire entrer notre cheval et tout fut
en mouvement pour nous etre utile. Picart pensa a la bouteille au
genievre qui etait dans ma carnassiere. Il m'en fit avaler quelques
gouttes, il en mit ensuite dans l'eau, et, un instant apres, je me
trouvais beaucoup mieux.
La vieille femme me tira mes bottes que je n'avais pas otees depuis
Smolensk, c'est-a-dire depuis le 10 de novembre, et nous etions le 23.
Une des jeunes filles se presenta avec un grand vase en bois rempli
d'eau chaude, le posa devant moi et, se mettant a genoux, me prit les
pieds l'un apres l'autre, tout doucement, me les posa dans l'eau et
les lava avec une attention particuliere et en me faisant remarquer
que j'avais une plaie au pied droit: c'etait une engelure de 1807 a la
bataille d'Eylau, et qui, depuis ce temps, ne s'etait jamais fait
sentir, mais qui venait de se rouvrir et me faisait, dans ce moment,
cruellement souffrir[41].
[Note 41: La bataille d'Eylau commenca le 7 fevrier 1807, a la
pointe du jour. La veille, nous avions couche sur un plateau, a un
quart de lieue de la ville, et en arriere. Ce plateau etait couvert de
neige et de morts, par suite d'un combat que l'avant-garde avait eu,
un moment avant notre arrivee. A peine faisait-il jour, que l'Empereur
nous fit marcher en avant, mais nous eumes beaucoup de peine, a cause
que nous marchions dans le milieu des terres et dans la neige
jusqu'aux genoux. Etant pres de la ville, il fit placer toute la Garde
en colonne serree par division, une partie sur le cimetiere a droite
de l'eglise, et l'autre sur un lac a cinquante pas du cimetiere. Les
boulets et les obus, tombant sur le lac, faisaient craquer la glace et
menacaient d'engloutir ceux qui etaient dessus. Nous fumes toute la
journee dans cette position, les pieds dans la neige et ecrases par
les boulets et la mitraille. Les Russes, quatre fois plus nombreux que
nous, avaient aussi l'avantage du vent qui nous envoyait dans la
figure la neige qui tombait a gros flocons, ainsi que la fumee de le
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