ieux, mais l'on me designa, pour corps de garde,
une espece de baraque qui se trouvait au milieu de la place, sur une
elevation, et ou le vent vient de tous cotes; malgre le grand feu que
nous avions fait, il nous fut impossible de reposer un seul instant.
Je reconnus ce village pour celui ou nous avions loge, cinq mois
avant, en partant de Wilna pour aller a Moscou, et ou j'avais perdu un
trophee, c'est-a-dire une petite boite dans laquelle il y avait des
bagues, des colliers en cheveux et des portraits provenant des
maitresses que j'avais eues dans tous les pays ou j'avais ete. J'ai
beaucoup regrette ma petite collection.
Le matin 9, nous partimes pour Wilna, par un froid de vingt-huit
degres[59]. De deux divisions, fortes encore de plus de dix mille
hommes, Francais et Napolitains, qui, depuis deux jours, s'etaient
joints a nous, ainsi que d'autres qui nous attendaient, echelonnes sur
la route, a peine, deux mille arriverent a Wilna. Le reste fut decime
dans cette terrible journee. Et cependant ces hommes etaient bien
vetus, et rien ne leur avait manque en fait que de nourriture, car ils
n'avaient quitte les bons cantonnements ou ils etaient, en Pomeranie
et en Lithuanie, que depuis quelques jours. Lorsque nous les
rencontrames, nous leur fimes pitie, mais, deux jours apres, ils
etaient plus malheureux que nous.
[Note 59: Beaucoup ont affirme 30 ou 32 degres. _(Note de
l'auteur)_]
Moins demoralises que nous, on les voyait se secourir les uns les
autres; mais lorsqu'ils virent qu'ils etaient aussi les victimes de
leur devouement, ils devinrent aussi egoistes que les autres, les
officiers superieurs comme les simples soldats.
L'espoir d'arriver, dans quelques heures, a Wilna, ou nous devions
avoir des vivres en abondance, m'avait rendu des forces, ou plutot,
comme beaucoup de mes camarades, je faisais, pour arriver, des efforts
surnaturels. Le froid de vingt-huit degres etait au-dessus de tout ce
que l'on pouvait faire. Je me sentais defaillir, il semblait que nous
marchions au milieu d'une atmosphere de glace. Combien de fois, dans
cette triste journee, je regrettai ma peau d'ours qui deja, dans des
froids semblables, m'avait sauve la vie! Je n'avais plus de
respiration, des glaces s'etaient formees dans mon nez; mes levres se
collaient; mes yeux, eblouis par la neige et par la faiblesse,
pleuraient, les larmes se gelaient et je n'y voyais plus. Alors
j'etais force de m'arreter et de me couvrir la figure av
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