i refaire, mais la chose me fut
impossible et, sans un second qui se trouvait pres de nous et qui eut
pitie de notre embarras en achevant ce que j'avais commence, je
n'aurais jamais pu en sortir.
Dans ce moment, Faloppa, que j'avais laisse a l'entree du defile,
arriva en pleurant et jurant en italien, disant qu'il ne pourrait
jamais aller plus loin. Le vieux grenadier me demanda quel etait cet
animal qui pleurait comme une femme. Je lui dis que c'etait un
_barbet_, un Piemontais: "Ce n'est pas lui, repondit-il, qui ira
revoir les marmottes et les ours de ses montagnes!" J'encourageai le
pauvre Faloppa a marcher, je lui donnai le bras, et nous continuames a
suivre la colonne.
Il pouvait etre cinq heures; nous avions encore plus de deux lieues a
faire pour arriver a Kowno. Le vieux grenadier me conta qu'il avait eu
les doigts geles avant d'arriver a Smolensk, et qu'apres avoir
souffert des douleurs atroces jusqu'apres le passage de la Berezina,
en arrivant a Ziembin, il avait trouve une maison ou il avait passe la
nuit; que, pendant cette nuit, tous les doigts lui etaient tombes les
uns apres les autres; mais que, depuis, il ne souffrait plus autant a
beaucoup pres; que son camarade, qui ne l'avait jamais quitte, avait
voulu tirer a la montagne, pres de Wilna, monter a la roue[66] pour
avoir de l'argent, et que, depuis ce jour, il ne l'avait plus revu.
[Note 66: _Monter a la roue_, expression des vieux grognards pour
designer ceux qui avaient pris de l'argent dans les caissons
abandonnes sur la montagne de Ponari. (_Note de fauteur_.)]
Apres avoir marche encore une demi-heure, nous arrivames dans un petit
village, ou nous nous arretames dans une des dernieres maisons pour
nous y reposer et nous y chauffer un peu, mais nous ne pumes y trouver
place, car depuis l'entree de la maison jusqu'au fond, ce n'etait que
des hommes etendus sur de la mauvaise paille qui ressemblait a du
fumier, et qui poussaient des cris dechirants accompagnes de
jurements, lorsqu'on avait le malheur de les toucher: presque tous
avaient les pieds et les mains geles. Nous fumes obliges de nous
retirer dans une ecurie, ou nous rencontrames un grenadier a cheval de
la Garde, du meme regiment et du meme escadron que notre vieux. Il
avait encore son cheval et, dans l'esperance de trouver un hopital a
Kowno, se chargea de son camarade.
Nous avions encore une lieue et demie a faire et, depuis un moment, le
froid etait considerablement augmente. D
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