haude, mais puante et degoutante. Lorsque nous fumes
assis sur un banc autour du poele, nous vimes entrer trois autres
juifs, dont Jacob nous dit que c'etait sa famille.
Picart, qui savait comment il fallait s'y prendre avec ses soi-disant
coreligionnaires, commenca par ouvrir son sac et en tirer d'abord une
paire d'epaulettes, non pas de colonel, mais de marechal de camp, une
pacotille de galons, tout cela neuf et ramasse a la montagne de Wilna,
dans les caissons abandonnes.
Il y avait aussi quelques couverts d'argent venant de Moscou. Les
juifs ouvrirent de grands yeux; alors Picart demanda du vin et du
pain; on apporta du vin du Rhin excellent; le pain n'etait pas de
meme; mais, pour le moment, c'etait plus que l'on ne pouvait esperer.
Pendant que nous etions a boire, les juifs regardaient les objets
etales sur le banc; Jacob demanda a Picart combien il voulait de tout
cela: "Dites-vous meme!" repondit Picart. Le juif dit un prix bien
eloigne de ce que Picart voulait. Il lui dit: Non! Jacob dit encore
quelque chose de plus; cette fois Picart, chez qui le vin commencait a
produire son effet, regarda le juif d'un air goguenard et lui repondit
en mettant un doigt sur le cote de son nez, et en fredonnant non pas
les paroles, mais le chant du rabbin a la synagogue, le jour du
Sabbat.
Les quatre juifs se mirent aussi a se balancer comme des Chinois et a
chanter les versets. Grangier regarda Picart, pensant qu'il etait fou,
et moi, malgre ma triste position, je me pamais de rire. Enfin, Picart
cessa de chanter pour nous verser a boire. Pendant ce temps, les juifs
causerent ensemble du prix des objets; Jacob en offrit un prix plus
eleve, mais ce n'etait pas encore ce que Picart voulait, de sorte
qu'il se remit a recommencer son tintamarre, jusqu'au moment ou il
accorda le marche, a condition qu'on lui donnat de l'or. Jacob paya
Picart en pieces d'or de Prusse; il est probable qu'il etait content
de son marche, puisqu'il nous donna des noisettes et des oignons. Le
vin nous avait monte a la tete et nous avait rendus comme fous, car,
lorsque Picart eut recu son argent, nous nous mimes a faire, comme
lui, le sabbat.
Le charivari aurait continue longtemps, si l'on n'eut frappe a la
porte a coups de crosses de fusils. Jacob regarda par le trou, et
apercut plusieurs soldats qui lui dirent, en allemand, qu'ils avaient
un billet de logement pour loger chez lui et que, s'il n'ouvrait pas
de suite, la porte allait etre enfon
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