lanc comme la
neige, car il avait un masque de peau qui lui couvrait toute la
figure. Il nous conta sa mesaventure; ensuite il se traita de
conscrit, de vieille bete: "Tenez, mon pays, me dit-il, c'est comme le
coup de fusil dans la foret, la nuit du 23 novembre. Je vois que je ne
vaux plus rien. Cette malheureuse campagne m'a use. Vous verrez,
continua-t-il, qu'il m'arrivera malheur!" Et, en disant cela, il
s'empara d'une bouteille de genievre qui etait sur la table, et,
prenant trois tasses sur la cheminee, il les remplit, pour boire, nous
dit-il, a notre bonne arrivee. Nous le remerciames: "Eh bien! nous
dit-il, nous allons passer la journee ensemble. Je vous invite a
diner!" Aussitot il appela la femme, qui se presenta en pleurant. Je
demandai a Picart ce qu'elle avait. Il me conta que, le matin, l'on
avait enterre son oncle, vieux celibataire caboteur ou corsaire, tres
riche, a ce qu'il parait, et que, par suite, il y avait grand gala a
la maison: qu'il y etait invite, et que c'etait pour cela qu'il nous
invitait aussi, parce qu'il y aurait des noisettes a croquer. Mais, se
reprenant, il nous dit qu'il faudrait mieux faire apporter le diner
dans la chambre que de passer notre temps avec un tas de
pleurnicheuses qui allaient faire semblant de pleurer, comme il
arrive toujours, a la mort d'un vieil oncle qui vous laisse quelque
chose. Il dit a la femme qu'il ne pourrait aller diner avec elle a
cause de ses amis venus le voir; que, ne avec un coeur sensible, il ne
ferait que pleurer. En disant cela, il fit semblant d'essuyer une
larme. La femme recommenca a pleurer de plus belle et nous, en voyant
jouer une comedie pareille, nous fumes obliges, pour ne pas eclater de
rire, de nous couvrir la figure avec notre mouchoir, de sorte que la
brave femme pensa que nous pleurions, et nous dit que nous etions des
bons hommes, mais qu'il ne fallait pas que cela nous empechat de
diner, et qu'elle allait nous faire servir. Ensuite elle se retira et
deux domestiques femelles vinrent nous apporter le diner. Il y avait
tant de choses, que nous n'aurions pu le manger en trois jours.
Notre repas fut, comme on doit bien le penser, on ne peut plus gai; et
cependant, lorsque nous revenions sur nos miseres, sur le sort de nos
amis que nous avions vus perir et de ceux dont nous ne savions comment
ils avaient disparu, nous devenions tristes et pensifs.
Nous etions encore a fumer et a boire, il commencait deja a faire
nuit, lorsque la dam
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