d'autres de differents
regiments marchaient aussi, comme nous, sans savoir ou ils allaient,
car les Polonais que nous avions suivis avaient disparu, et c'est par
hasard, mon sergent, que nous arrivons ici et que nous avons eu le
bonheur de vous rencontrer." A mon tour je leur temoignai tout le
plaisir que j'avais de les revoir; il y avait quatre ans qu'ils
etaient dans la compagnie.
Tout a coup, l'un d'eux me dit: "Mon sergent, j'ai quelque chose a
vous remettre! Vous devez vous souvenir qu'en partant de Moscou, vous
m'avez charge d'un paquet, le voila tel que vous me l'avez donne; il
n'a jamais ete tire de mon sac!" Le paquet etait une capote militaire
en drap fin, d'un gris fonce, que j'avais fait faire, pendant notre
sejour a Moscou, par les tailleurs russes a qui j'avais sauve la vie,
l'autre objet etait un encrier que j'avais pris sur une table, au
palais de Rostopchin, au moment de l'incendie, pensant que c'etait de
l'argent, mais ce n'etait pas tout a fait cela.
L'annee commencait bien pour moi; je voulus qu'elle fut de meme pour
celui qui me rendait un si grand service. Je lui donnai vingt francs.
Ensuite je n'eus rien de plus presse que d'endosser ma nouvelle
capote[76].
[Note 76: Cette capote a servi a un de mes freres. Je la laissai
chez mes parents, a mon retour de cette campagne, lorsque je venais
d'etre nomme lieutenant et que je repartais pour la campagne de 1813.
(_Note de l'auteur_.)]
Autre surprise non moins agreable: en mettant les mains dans les
poches de ma nouvelle capote, j'en retirai un foulard des Indes ou,
dans un des coins bien noue, je trouvai une petite boite en carton
renfermant cinq bagues montees en belles pierres: cette boite que je
pensais avoir mise dans mon sac, je la retrouvais pour faire un cadeau
a Mme Gentil! Aussi la plus belle lui fut-elle destinee. Apres avoir
dit a mes deux soldats d'attendre jusqu'a l'heure de l'appel pour les
faire rentrer a la compagnie et leur faire delivrer un billet de
logement, je les laissai pour retourner au mien.
Chemin faisant, j'achetai un gros pain de sucre que j'offris a mon
hotesse, ainsi que la bague, en la priant de la garder comme un
souvenir, car elle venait de Moscou. Elle me demanda combien je
l'avais achetee; je lui repondis que je l'avais payee bien cher, et
que, pour un million, je ne voudrais pas en aller chercher une
pareille.
A onze heures, je retournai sur la place du palais. Il y avait deja
beaucoup de monde, notre
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