rriere, en lui disant: "Voila ma justice, a moi!" L'homme se
retira en portant la main a la place ou il avait recu le coup, aux
huees de toutes les femmes presentes.
Pendant ce temps, le commissaire faisait payer une amende de
vingt-cinq francs aux individus qui avaient insulte Picart, ainsi qu'a
celui qui avait recu le coup de pied. Il en mit la moitie dans sa
poche, "pour le Roi, disait-il, et pour les frais de justice". L'autre
moitie, il la presenta a Picart qui d'abord refusa, mais faisant
reflexion, il en donna la moitie aux invalides et l'autre au ministre
protestant en lui disant: "Si vous rencontrez la femme d'un vieux
soldat, vous lui remettrez cela de ma part!" On se fit expliquer ce
que Picart venait de faire, car on ne pouvait comprendre autant de
desinteressement de la part d'un soldat; aussi c'est a qui lui aurait
dit des choses flatteuses, meme le commissaire de police qui vint lui
baragouiner un compliment. Nous continuames a marcher dans la
direction du palais, Grangier et moi, en faisant des reflexions sur le
caractere des Prussiens, et Picart en chantant son refrain:
Ah! tu t'en souviendras, larira,
Du depart de Boulogne!
Nous arrivames sur la place; nous vimes, en face du palais ou etait
loge le roi Murat, un regiment de negres appartenant au roi: c'etait
vraiment drole a voir, des hommes noirs sur une place couverte de
neige; ils etaient en colonne serree par division, les sapeurs avaient
des bonnets de peau d'ours blancs, et les officiers qui les
commandaient etaient noirs comme eux. Je n'ai pu savoir quelle route
ce corps avait pris pour se retirer, mais je pense qu'il alla passer
la Vistule a Marienwerder.
Le bruit du canon avait presque cesse. Les Russes venaient d'etre
chasses des environs de la ville par un corps de troupes fraiches qui
n'avait pas fait la campagne de Russie; quelques coups a mitraille, au
milieu de leur cavalerie, avaient suffi pour les faire retirer.
L'encombrement des voitures d'equipage appartenant a differents corps
et que l'on voulait faire sortir de la ville avant de l'avoir evacuee,
nous fit arreter. Nous nous trouvions pres du logement de Picart. S'en
etant apercu, il nous cria: "Halte! Mes amis, il faut que je fasse mes
adieux a ma bourgeoise, que je prenne mon manteau blanc, la pipe et le
bonnet en peau de renard noir du defunt, dont on m'a fait present, et
que nous vidions encore quelques bouteilles de vin qui se trouvent
sous mon traversin de pai
|