manque, etaient de pauvres soldats; sans la presence
des Francais en petit nombre parmi eux, ils auraient jete leurs armes
et fui:
"Je vais, continua-t-il, te conter ce qui m'est arrive hier, et tu
verras si je n'ai pas raison de t'engager a faire ton possible afin de
sortir de ce coquin de pays!
"Apres avoir passe le Niemen, arrives a un quart de lieue de la ville,
nous apercumes de loin, a cheval sur la route, plus de 2 000 Cosaques
et autres cavaliers. Nous arretames pour deliberer sur le parti a
prendre et aussi pour attendre ceux qui etaient en arriere. Un instant
apres, nous nous trouvames reunis environ 400 hommes de toutes armes.
Nous formames une colonne, afin de pouvoir, au besoin, former un
carre. Des officiers qui se trouvaient parmi nous--il y en avait
beaucoup--en prirent le commandement. Ensuite, vingt-deux soldats
polonais se joignirent a nous. Environ cinquante hommes des plus
valides, et qui avaient de bonnes armes, se mirent en tirailleurs, en
tete et sur les flancs.
"Nous marchames resolument sur cette cavalerie qui, a l'approche des
tirailleurs, se retira a droite et a gauche de la route. La colonne,
arrivee a la hauteur des Russes, s'arreta pour attendre quelques
hommes encore en arriere. Quelques-uns seulement purent la rejoindre,
car une partie des Cosaques se detacha pour arreter les plus eloignes.
Un nomme Boucsin[69], grosse caisse de notre musique, qui se trouvait
du nombre de ceux qui etaient en arriere et qui faisait son possible
pour rejoindre la colonne, ayant encore (chose etonnante!) la grosse
caisse sur son dos et portant dans les mains un sac rempli de pieces
de cinq francs, ce qui l'empechait de marcher aussi vite qu'il
l'aurait voulu, fut atteint par des Cosaques, a cinquante pas en
arriere et sur la gauche de la colonne. Il recut, entre les deux
epaules, un coup de lance qui le fit tomber de tout son long dans la
neige et fit, en meme temps, passer ta grosse caisse au-dessus de sa
tete. Aussitot, deux Cosaques descendirent de cheval pour le
depouiller, mais trois hommes et un officier polonais coururent sur
les Cosaques, en prirent un avec son cheval et debarrasserent le
porteur de la grosse caisse, qu'il abandonna au milieu des champs. Il
en fut quitte pour son coup de lance, et la moitie de son argent qu'il
distribua a ceux qui lui avaient sauve la vie.
[Note 69: _Bousin_, en argot, signifie _tapage_. Le surnom donne
au porteur de la grosse caisse lui servait de nom prop
|