ent
que notre depart pour venir prendre nos places: "Allons, dit le
canonnier, il faut ceder la position et battre en retraite sur
Wilbalen! Nous n'avons plus qu'une lieue; ainsi, partons!"
Il fallut se remettre en route; nous etions six, quatre canonniers, le
petit soldat du train et moi. Nous sortimes de la grange. C'etait le
16 decembre, cinquante-neuvieme journee de marche, depuis notre depart
de Moscou. Le vent etait impetueux et le froid excessif. Tout a coup,
malgre ce que mon camarade put faire pour me soutenir, je m'affaissai,
accable par le sommeil et par la fatigue. Il fallut les efforts de
deux canonniers et de mon compagnon pour me mettre debout; quoique sur
mes jambes, je dormais toujours, mais un canonnier m'ayant frotte la
figure avec de la neige, je m'eveillai. Ensuite il me fit avaler un
peu d'eau-de-vie; cela me remit un peu. Ils me prirent chacun par un
bras, et me firent marcher, de la sorte, beaucoup plus vite que je
n'aurais pu marcher seul. C'est de cette maniere que j'arrivai a
Wilbalen. En entrant, nous apprimes que le roi Murat y etait avec tous
les debris de la Garde imperiale.
Malgre le grand froid, l'on voyait assez de mouvement dans la ville,
de la part des militaires, dans l'espoir d'acheter aux juifs, assez
nombreux dans cet endroit, du pain et de l'eau-de-vie. On voyait
aussi, a la porte de chaque maison, une sentinelle, et lorsqu'un
arrivant se presentait pour entrer, on lui repondait qu'il y avait un
general loge, ou un colonel, ou qu'il n'y avait plus de place.
D'autres nous disaient: "Cherchez votre regiment!" Les canonniers
trouverent des camarades de leur regiment et s'en furent avec eux. Je
commencais a me desesperer, lorsqu'un paysan me dit que, dans la
premiere rue a gauche, il y avait peu de monde. Nous y fumes, mais
toujours des sentinelles a toutes les portes et partout la meme
reponse. Effectivement je voyais, dans les maisons, les hommes
entasses les uns sur les autres. Cependant nous ne pouvions rester
plus longtemps dans la rue sans nous exposer a mourir de froid.
Il me serait difficile d'exprimer combien, ce jour-la, j'ai souffert
du froid et davantage encore de chagrin, en me voyant repousse partout
ou je me presentais, et cela par des camarades.
Enfin, je m'adresse a un grenadier qui me dit que, partout il y a du
monde, mais aussi de la mauvaise volonte, de l'egoisme, et qu'il ne
faut pas faire attention aux maisons ou il y a des sentinelles; qu'il
faut y ent
|