rer, "car je vois, continua-t-il, que vous etes dans une
triste position!"
Faisant signe a mon camarade de me suivre, je me dirige vers la
premiere maison qui se presente pour y entrer: un vieux grognard barre
le passage avec son fusil en me disant que c'est le logement du
colonel, et qu'il n'y a plus de place. Je lui reponds que, quand bien
meme ce serait le logement de l'Empereur, il m'en fallait deux, et que
j'entrerais. Dans ce moment, j'apercus un autre grenadier occupe a
attacher sur sa capote une paire d'epaulettes d'officier superieur. A
ma grande surprise, je reconnais Picart, mon vieux compagnon, que je
n'avais pas vu depuis Wilna, depuis le 9 decembre! Aussitot, je dis au
grenadier: "Dites au colonel Picart que le sergent Bourgogne lui
demande une place.--Vous vous trompez", me repond-il. Mais, sans
l'ecouter, je force la consigne, le soldat du train me suit et nous
entrons.
A peine Picart m'a-t-il reconnu qu'il jette ses grosses epaulettes sur
la paille en s'ecriant: "Jour de Dieu! C'est mon pays, c'est mon
sergent! Comment se fait-il, mon pays, que vous arrivez seulement?
Vous avez donc encore fait l'arriere-garde?" Sans lui repondre, je
m'etais laisse tomber sur la paille, epuise de fatigue, de sommeil et
d'inanition, et aussi suffoque par la chaleur d'un grand poele. Picart
courut a son sac, en tira une bouteille ou il y avait de l'eau-de-vie,
et me forca d'en prendre quelques gouttes qui me ranimerent un peu.
Ensuite, je le priai de me laisser reposer.
Il pouvait etre huit heures du matin; il en etait deux de l'apres-midi
lorsque je m'eveillai.
Picart mit entre mes jambes un petit plat de terre contenant de la
soupe au riz que je mangeai avec plaisir, et en regardant a droite et
a gauche, car je cherchais a me reconnaitre. A la fin, tout se
debrouilla dans mes idees, de maniere a me rappeler ce qui m'etait
arrive depuis vingt-quatre heures.
J'etais dans mes reflexions, lorsque Picart m'en tira pour me conter
ce qui lui etait arrive depuis que nous nous etions separes, a Wilna:
"Apres avoir chasse les Russes qui s'etaient presentes sur les
hauteurs de Wilna, on nous fit revenir sur la place; de la, on nous
conduisit au faubourg situe sur la route de Kowno, pour etre de garde
chez le roi Murat qui venait de quitter la ville. La, je vous
cherchai, pensant que vous aviez suivi, et je fus etonne de ne plus
vous voir. A minuit, on nous fit partir pour Kowno, accompagnant le
roi Murat et le prince E
|