rer dans une chambre bien chaude ou il y avait un
lit que l'on designa pour le Cosaque, mais il n'en voulut pas et
demanda de la paille pour lui, et aussi pour moi, qu'il fit mettre a
part, afin de ne pas eveiller de soupcons. L'on nous apporta a manger
du pain, du lard, de la choucroute, de la biere et du genievre pour le
frere Cosaque; des pommes de terre et de l'eau pour moi. Le
bourgmestre fit remarquer a mon frere une certaine quantite d'armes
dans un coin de la chambre: c'etaient celles des Francais que les
paysans avaient desarmes le matin, consistant en quelques pistolets,
carabines, cinq a six fusils, autant de sabres de cavaliers, ainsi que
plusieurs paquets de cartouches.
"Pendant que nous etions en train de manger, un paysan accompagne
d'une femme entra dans la chambre; l'homme portait un bras en echarpe:
c'etait l'homme au bras casse. Il vint s'asseoir aupres de moi pour me
le faire voir. Je me decidai a payer d'audace. Je demandai du linge,
des bandes, des petites lattes que l'on fit avec du bois de sapin. Le
bras etait casse net entre le poignet et le coude. J'avais deja vu
tant d'operations, depuis cinq ans, que je ne balancai pas un instant
a me mettre a l'oeuvre. Il n'y avait pas de plaie, on voyait seulement
une forte rougeur. Je fis signe a un paysan de tenir le malade par les
deux epaules et a la femme de tenir la main. Alors j'ajustai, je
pense, assez bien l'os casse, comme j'aurais fait d'un morceau de
bois. D'abord, je tatonnai. Pendant ce temps, le diable criait et
faisait de vilaines grimaces. Enfin je lui appliquai des compresses
trempees dans le _schnapps_, ensuite quatre lattes que je lui serrai
avec des bandes de toile. Enfin, l'operation finie, il se trouva
mieux, et me dit que j'etais un brave homme. La femme et le
bourgmestre me firent des compliments; alors je respirai. Pour me
recompenser, on me donna un grand verre de genievre.
"Mais ce n'etait pas tout: le bourgmestre me fit comprendre qu'il
fallait que j'aille voir une femme qui, depuis deux jours, souffrait
horriblement; c'etait une jeune femme enceinte qui ne pouvait
accoucher. On avait ete a Kowno pour un accoucheur, mais tout etait en
deroute a cause des Russes et des Francais, de sorte que l'on n'avait
pu en trouver: "Ordinairement, me dit-il, ce sont les vieilles femmes
qui font ce service, mais il parait que l'enfant se presente mal". Je
voulus faire comprendre au bourgmestre qu'ayant perdu mes instruments
de chirurgien,
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