a la tete. Un
instant apres, elle la releva et, comme j'avais toujours les yeux
fixes sur elle, elle me regarda en riant, mais d'un sourire triste. Je
lui demandai a quoi elle pensait: "A manger, comme vous voyez! Avant,
j'avais un ami qui m'en donnait; a present, je mange lorsque l'on m'en
donne ou lorsque j'en trouve, chose bien rare; il n'y a qu'a boire!"
En meme temps, elle prit une pincee de neige qu'elle porta a sa
bouche.
Je la vis se lever avec peine pour se mettre en marche; elle me donna
une poignee de main et me dit adieu. Je remarquai qu'elle etait
courbee par la fatigue et la misere, qu'elle marchait peniblement,
appuyee sur un gros baton de sapin. La mere Gateau la suivait,
toujours sa schabraque sur la tete, jurant et marmottant entre les
dents. Je compris que c'etait toujours apres le vieux chasseur.
Dans ce moment, nous pouvions etre quarante, et, a chaque instant,
notre nombre augmentait. J'apercus un sergent du regiment: il se
nommait Humblot. En me voyant, il me demanda ce que je faisais la. Je
lui repondis que je me reposais et que j'examinais si je ne ferais pas
bien de passer la nuit ou je me trouvais et de partir le lendemain de
grand matin.
Humblot, qui etait un brave garcon et qui m'aimait beaucoup, me fit
des observations tres justes, d'abord sur le temps qui etait
supportable, sur l'avantage qu'il y aurait pour moi de traverser la
foret ou, me disait-il, de l'autre cote, nous trouverions des maisons
ou nous pourrions passer la nuit; le lendemain, nous arriverions de
bonne heure a Wilbalen, petite ville a trois ou quatre lieues d'ou
nous etions, ou nous trouverions nos camarades et pourrions nous
procurer des vivres. Enfin, il fit tant, que je pris mon sac et mon
fusil, et partis avec le sergent Humblot.
En marchant, Humblot me dit que, quoique nous fussions dans la
Pomeranie prussienne, il n'etait pas prudent de marcher isole en
arriere, car plusieurs milliers de Cosaques avaient passe le Niemen
sur la glace.
Ensuite il me conta qu'il avait quitte Kowno, hier dans la journee,
avec beaucoup d'autres, et sans s'inquieter de rien, puisque le
marechal Ney y etait encore a se battre, avec une arriere-garde
composee d'Allemands et de quelques Francais, afin d'empecher les
Russes d'entrer dans la ville, et de donner le temps aux debris de
l'armee de sortir. Ces Allemands, me disait-il, qui faisaient partie
de la garnison de Kowno, qui se portaient tres bien et a qui rien
n'avait jamais
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