te se font entendre avec plus de force, accompagnes
de coups de fusil; les chevaux, qui n'etaient pas fortement attaches,
sont effrayes, s'echappent du cote de la route, et les Cosaques se
mettent a courir apres.
Reflechissant a l'etat deplorable dans lequel je me trouvais, je me
dis qu'il me serait impossible de continuer a marcher sans me nettoyer
et changer de linge. On se rappelle que j'avais des chemises et une
culotte de drap de coton blanc, dans un portemanteau de la montagne de
Ponari--ces effets appartenaient a un commissaire des guerres.
Ayant ouvert mon sac, j'en tire une chemise que je pose sur mon fusil;
ensuite la culotte, que je mets a cote de moi sur l'arbre; je me
debarrasse de mon amazone et de ma capote militaire, de mon gilet a
manches en soie jaune piquee, que j'avais fait a Moscou avec les
jupons d'une dame russe; je denoue le cachemire qui me serrait le
corps et qui tenait mon pantalon, et, comme je n'avais pas de
bretelles, il tomba sur mes talons. Pour ma chemise, je n'eus pas la
peine de l'oter, je la tirai par lambeaux, car il n'y avait plus ni
devant, ni derriere. Enfin, me voila nu, n'ayant plus que mes
mauvaises bottes aux jambes, au milieu d'une foret sauvage, le 15
decembre, a quatre heures de l'apres-midi, par un froid de dix-huit a
vingt degres, car le vent du nord avait recommence a souffler avec
force.
En regardant mon corps maigre, sale et mange par la vermine, je ne
puis retenir mes larmes. Enfin, reunissant le peu de forces qui me
restent, je me dispose a faire ma toilette: je ramasse les lambeaux de
ma vieille chemise et, avec de la neige, je me nettoie le mieux
possible. Ensuite, je passe ma nouvelle chemise en fine toile de
Hollande et brodee sur le devant. Mon pantalon n'etant plus mettable,
j'enfourche au plus vite la petite culotte, mais elle se trouvait
tellement courte que mes genoux n'etaient pas couverts, et, avec mes
bottes qui ne m'allaient que jusqu'a mi-jambe, j'avais toute cette
partie a nu. Enfin, je passe au plus vite mon gilet de soie jaune, ma
capote, mon amazone, mon fourniment et mon collet par-dessus, et me
voila completement habille, sauf mes jambes.
Ensuite, je fis reflexion qu'il fallait decamper au plus vite, de
sorte que je descendis de mon arbre. Lorsque j'eus fait environ deux
cents pas, j'apercus deux individus, un homme et une femme. Je
reconnus qu'ils etaient Allemands; ils me paraissaient etre sous
l'impression de la peur. Je leur demandai
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