artenant a la Prusse, il fallait
profiter de l'occasion qui se presentait.
"Les paysans nous apporterent des pommes de terre et de l'eau, bonheur
auquel nous etions loin de nous attendre. L'on nous en fit la
distribution; nous en eumes chacun quatre; nous nous jetames dessus
comme des devorants, et presque tous avouerent que, pour le moment, il
valait mieux etre prisonnier, mangeant des pommes de terre, que de
mourir, libre, de faim et de froid sur le grand chemin. Mais moi je
leur observai qu'il serait plus heureux de sortir de leurs griffes:
"Qui sait, dis-je, si l'on ne nous conduira pas en Siberie?" Je leur
montrai la possibilite de nous sauver, car j'avais trouve, derriere la
place ou j'etais couche avec mon frere, que l'on pouvait facilement en
detacher deux planches et passer aisement. On convint que j'avais
raison; mais je ne sais par quelle fatalite, une heure apres, l'on
vint nous dire qu'il fallait partir. Il commencait a faire nuit;
beaucoup d'hommes, accables de fatigue, etaient endormis et ne
voulaient pas se lever; mais les Cosaques, voyant que l'on ne
repondait pas assez vite a l'ordre donne, frapperent a coups de knout
ceux qui etaient encore couches. Mon frere qui, a cause de sa
blessure, ne pouvait se lever assez lestement, allait etre frappe; je
me mis devant, je parai les coups, pendant que je l'aidais a se
relever, et au lieu de sortir de la grange comme les autres, nous nous
cachames derriere la porte, avec le bonheur de ne pas etre apercus.
"Tous les prisonniers et les Cosaques etaient sortis; nous n'osions
respirer. Trois Cosaques a cheval traverserent encore la grange en
galopant et en regardant a droite et a gauche, s'il n'y avait plus
personne. Lorsqu'ils furent sortis, je me trainai pour regarder en
dehors: je vis un paysan venir, je rentrai a ma place. Il entra dans
la grange du cote oppose ou nous etions; nous n'eumes que le temps de
nous couvrir de paille. Fort heureusement il ne nous apercut pas et
ferma les deux portes. Nous nous trouvames seuls.
"Il pouvait etre six heures; nous nous reposames encore une heure;
ensuite je me levai pour aller ouvrir la porte; mais je ne pus y
parvenir, de sorte qu'il fallut revenir a mon premier projet, celui de
sortir en enlevant les deux planches. C'est ce que je fis. Le passage
etait libre; je dis a mon frere de m'attendre, et je sortis.
"J'avancai a l'entree du village: a la premiere maison j'apercus de la
lumiere a travers une petite fenetr
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