erait beaucoup mieux, mais, un
instant apres, il eut la fievre et, pendant toute la nuit, il ne fit
que pleurer et divaguer. Plusieurs fois meme, la nuit, je le surpris
ecrivant sur un calepin et en dechirant les feuillets.
Dans un moment ou je dormais paisiblement, je me sentis tirer par le
bras; c'etait le pauvre Poton qui me dit: "Mon cher ami, il m'est
impossible de sortir d'ici, meme de faire un pas; ainsi il faut que tu
me rendes un grand service; je compte sur toi si, plus heureux que
moi, tu as le bonheur de revoir la France; dans le cas contraire, tu
chargeras Grangier, sur qui je compte comme sur toi, de remplir la
mission dont je te charge. Voici, continua-t-il, un petit paquet de
papiers que tu enverras a l'adresse indiquee, a ma mere, accompagne
d'une lettre dans laquelle tu lui peindras la situation ou tu m'as
laisse, sans cependant lui faire perdre l'espoir de me revoir un jour.
Voila une cuiller en argent que je te prie d'accepter; il vaut mieux
que tu l'aies que les Cosaques." Alors, il me remit son petit paquet
de papiers, en me disant encore qu'il comptait sur moi. Je lui promis
de faire ce qu'il venait de me dire, mais j'etais bien loin de croire
que nous serions forces de l'abandonner.
Le 15 decembre, lorsqu'il fut question de partir, je repetai a nos
amis la confidence que Poton venait de me faire. Ils penserent que
c'etait manque de courage, ou qu'il devenait fou, de sorte que chacun
se mit a lui faire des observations a sa maniere.
Mais le malheureux Poton, pour toute reponse, nous montra deux hernies
qu'il avait depuis longtemps et qui etaient sorties par suite
d'efforts reiteres qu'il avait faits en montant la cote de Kowno. Nous
vimes effectivement qu'il lui etait impossible de bouger; le
sergent-major Leboude pensa que l'on ferait bien de le recommander au
paysan chez lequel nous etions, mais, avant de le faire venir, comme
Poton avait beaucoup d'argent et surtout de l'or, nous nous depechames
a coudre son or dans la ceinture de son pantalon; ensuite, nous fimes
venir le paysan, et, comme il parlait allemand, il nous fut facile de
nous faire comprendre. Nous lui proposames cinq pieces de cinq francs,
en lui disant qu'il en aurait quatre fois autant et peut-etre
davantage, s'il avait soin du malade. Il nous le promit en jurant par
Dieu, et que meme il irait chercher un medecin. Ensuite, comme le
temps pressait, nous fimes nos adieux a notre camarade.
Avant de le quitter, il me fit prom
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