ettre de ne pas l'oublier; nous
l'embrassames et nous partimes. Je ne sais si le paysan a tenu sa
parole, mais toujours est-il que plus jamais je n'ai entendu parler de
Poton qui etait, sous tous les rapports, un excellent garcon, bon
camarade, ayant recu une excellente education, chose tres rare a cette
epoque. Il etait gentilhomme breton, d'une des meilleures familles de
ce pays.
Tant qu'a moi, j'ai rempli religieusement ma mission, car, a mon
arrivee a Paris, au mois de mai, j'envoyai a l'adresse indiquee les
papiers qu'il m'avait confies et qui contenaient son testament et les
adieux touchants qu'il ecrivait pendant qu'il avait la fievre. J'en ai
tire une copie que je reproduis:
Adieu, bonne mere,
Mon amie;
Adieu, ma chere,
Ma bonne Sophie!
Adieu, Nantes ou j'ai recu la vie
Adieu, belle France, ma patrie,
Adieu, mere cherie,
Je vais quitter la vie,
Adieu!
Depuis plusieurs annees, j'avais cesse d'ecrire mon journal de la
campagne de Russie, c'est-a-dire de mettre en ordre les _Souvenirs_
que j'avais ecrits en 1813, etant prisonnier. Il m'etait venu une
singuliere manie, c'etait de douter si tout ce que j'avais vu, endure
avec tant de patience et de courage, dans cette terrible campagne,
n'etait pas l'effet de mon imagination frappee.
Cependant, lorsque la neige tombe et que je me trouve reuni avec des
amis, anciens militaires de l'Empire, dont quelques-uns de la Garde
imperiale, bien rares, a present (1829)! qui ont fait, comme moi,
cette memorable campagne, c'est-a-dire qui ont ete jusqu'a Moscou,
c'est toujours la que nos souvenirs se portent, et j'ai aussi remarque
qu'il leur etait reste, comme a moi, d'ineffacables impressions. C'est
avec orgueil que nous parlons de nos glorieuses campagnes.
Aujourd'hui que ma mere vient de me remettre quelques lettres que je
lui avais ecrites pendant cette campagne, et que je regrettais de ne
pas avoir, afin de les joindre a la fin de mon journal, je reprends
courage. Ajoutez a cela les conseils de quelques amis qui m'engagent a
terminer. Pour moi, cela me fait revivre. Peut-etre un jour, qui sait?
mes recits, quoique mal ecrits, interesseront-ils ceux qui les liront,
car, apres tant de grandes choses que nous avons vues, que nous
reste-t-il a voir? Le grand genie n'est plus, mais son nom existera
toujours! Aussi je prends mon courage a deux mains pour continuer, de
sorte qu'apres moi, mes petits-enfants diront, lisant les _Memoires_
de grand-p
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