us pourrons gagner la Prusse ou la Pologne, car il est
probable que les Russes n'iront pas plus loin que Kowno." Je lui dis
que je ferais comme il voudrait.
M. Serraris, a qui Grangier venait de faire part de mon dessein,
s'approcha de moi pour me consoler; il me dit que, tant qu'a mes
douleurs, ce n'etait rien, qu'elles ne provenaient que de la fatigue
d'hier; il me fit coucher devant le feu et comme, fort heureusement,
le bois ne manquait pas, l'on en fit un bon, a me rotir. Ce feu me fit
tant de bien, que je sentais mes douleurs diminuer et un bien-etre qui
me fit dormir quelques heures. Il en fut de meme pour le pauvre Rossi.
* * * * *
En 1830, je fus nomme officier d'etat-major a Brest; le jour de mon
arrivee, etant a table avec ma femme et mes enfants, a l'hotel de
Provence ou j'etais loge, il y avait, en face de moi, un individu
ayant une fort belle tenue et qui me regardait souvent. A chaque
instant, il cessait de manger et, le bras droit appuye sur la table
pour reposer sa tete, semblait reflechir, ou plutot se rappeler
quelques souvenirs. Ensuite il causait avec le maitre de la maison. Ma
femme, qui etait aupres de moi, me le fit remarquer: "Effectivement,
lui dis-je, cet homme commence a m'intriguer, et, si cela continue, je
lui demanderai ce qu'il me veut!" Au meme moment, il se leve, jette sa
serviette a terre, et passe dans un bureau ou etait le registre des
voyageurs. Il rentre dans la salle en s'ecriant a haute voix: "C'est
lui! Je ne me trompais pas! (en m'appelant par mon nom). C'est bien
mon ami!"
Je le reconnais a sa voix, et nous sommes dans les bras l'un de
l'autre. C'etait Rossi, que je n'avais pas revu depuis 1813, depuis
dix-sept ans! Il me croyait mort, et moi je pensais de meme de lui,
car j'avais appris, a ma rentree des prisons, qu'il avait ete blesse
sous les murs de Paris. Cette reconnaissance interessa toutes les
personnes qui se trouvaient presentes, au nombre de plus de vingt; il
fallut conter nos aventures de la campagne de Russie. Nous le fimes de
bon coeur; aussi, a minuit, nous etions encore a table, a boire le
champagne, a la memoire de Napoleon.
Il n'est pas etonnant que, d'abord, je n'aie pas reconnu mon camarade,
car, de delicat qu'il etait, je le retrouvais fort et puissant, les
cheveux presque gris: il etait de Montauban, et riche negociant.
* * * * *
Quand le moment du depart arriva, je ne pensais pl
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