a route.
Le chemin devint meilleur: nous pouvions apercevoir la longue trainee
de la colonne qui marchait devant nous. Nous redoublames d'efforts
pour la rejoindre, mais ne pumes y parvenir. Nous trouvames, sur notre
passage, un hameau de cinq a six maisons dont la moitie etaient en
feu; nous nous y arretames. Autour etaient plusieurs hommes dont une
partie semblait ne pouvoir aller plus avant, et plusieurs chevaux
tombes mourants, qui se debattaient sur la neige. Faloppa se depecha
de couper un morceau a la cuisse de l'un d'eux, que nous fimes cuire
au bout de nos sabres, au feu de l'incendie des maisons.
Pendant que nous etions occupes a cette besogne, plusieurs coups de
canon se firent entendre dans la direction d'ou nous venions.
Regardant aussitot de ce cote, j'apercus une masse de plus de dix
mille traineurs de toutes armes, en desordre sur toute la largeur de
la route. Derriere eux marchait l'arriere-garde. Depuis, j'ai pense
que le marechal Ney faisait quelquefois tirer le canon afin de faire
croire a tous ces malheureux que les Russes etaient pres de nous et,
par ce moyen, leur faire accelerer le pas, pour, le meme jour, gagner
Kowno. C'etait une partie des debris de la Grande Armee.
Notre viande n'etait pas encore a moitie cuite, que nous jugeames
prudent de decamper au plus vite pour ne pas etre entraines par ce
nouveau torrent.
Nous avions encore six lieues a faire pour arriver a Kowno; et deja
nous etions extenues de fatigue; il pouvait etre onze heures; Faloppa
me disait: "Mon sergent, nous n'arriverons jamais aujourd'hui; le
_ruban de queue_ est trop long[65]. Nous ne pourrons jamais sortir de
ce pays du diable, c'est fini; je ne verrai plus ma belle Italie!"
Pauvre garcon, il disait vrai!
[Note 65: _Ruban de queue_, expression du troupier pour designer
une longue route. (_Note de l'auteur._)]
Il y avait bien une heure que nous marchions, depuis la derniere fois
que nous nous etions reposes, lorsque nous rencontrames plusieurs
groupes d'hommes de quarante, de cinquante, plus ou moins, composes
d'officiers, de sous-officiers et de quelques soldats, portant au
milieu d'eux l'aigle de leur regiment. Ces hommes, tout malheureux
qu'ils etaient, paraissaient fiers d'avoir pu, jusqu'alors, conserver
et garder ce depot sacre. L'on voyait qu'ils evitaient de se meler, en
marchant, aux grandes masses qui couvraient la route, car ils
n'auraient pu aller ensemble et en ordre.
Nous marchames tant que n
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