ec la peau
d'hermine de mon collet, pour en faire fondre la glace. C'est de cette
maniere que j'arrivai pres d'une grange a laquelle on avait mis le feu
pour se chauffer. Alors je pus respirer un peu: il en etait de meme de
presque toutes les habitations que l'on rencontrait. Dans presque
toutes, il y avait des malheureux soldats qui, ne pouvant aller plus
loin, s'y etaient retires pour mourir.
Nous apercumes les clochers de Wilna: je voulus presser le pas afin
d'arriver des premiers, mais les vieux chasseurs de la Garde que je
rencontrai m'en empecherent. Ils marchaient en colonne et sur deux
rangs, de maniere a barrer la route, afin que personne ne passat sans
marcher en ordre. On voyait des vieux guerriers ayant des glacons qui
leur pendaient a la barbe et aux moustaches, comprimant leurs
souffrances pour marcher en ordre, mais cet ordre que l'on voulait
maintenir fut impossible. On se jeta en confusion dans le faubourg: en
y entrant, j'apercus a la porte d'une maison un de mes amis, velite et
officier aux grenadiers, etendu mort; les grenadiers etaient arrives
une heure avant nous. Beaucoup d'autres tomberent, en arrivant,
d'epuisement et de froid; le faubourg etait deja parseme de cadavres.
On designa une maison pour notre bataillon et, quoique deja il s'y
trouvait des Badois qui faisaient partie de la garnison, le logement
ne fut pas trop petit. Il est vrai qu'un instant apres, ils evacuerent
la maison, tant ils avaient peur d'etre devores par nous.
On nous fit une distribution de viande de boeuf: nous ne fumes pas
assez raisonnables de la reunir pour en faire une soupe. On tombait
dessus comme des affames que nous etions, chacun la fit cuire ou
chauffer comme il put, quelques-uns la mangerent crue. Un de mes amis
nomme Poton, gentilhomme breton, velite et sergent de la meme
compagnie que moi, attendait avec une impatience marquee qu'on lui
donnat son morceau, qui pouvait etre d'une demi-livre. Comme il etait
separe d'environ deux pas de celui qui coupait, on le lui jeta. Il
l'attrapa au vol de ses deux mains, comme un chat aurait fait de ses
pattes, le porta a sa bouche et le devora avec des mouvements
convulsifs, malgre tout ce que nous pumes faire pour l'en empecher: il
ne voyait plus rien que le morceau qu'il devorait.
Il pouvait etre midi lorsque nous arrivames. Une heure apres,
j'entrais en ville afin de voir si je ne trouverais pas de pain et
d'eau-de-vie a acheter. Mais, presque partout, les portes e
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