moi!" Je
lui repondis qu'il m'etait impossible, mais que ce qu'elle pouvait
faire de mieux etait de se reunir a ceux qui partaient. Elle me fit
signe de la main que c'etait impossible, et comme, depuis un moment,
j'entendais des coups de fusil, je laissai cette malheureuse et me
dirigeai du cote de Kowno, ou j'arrivai au milieu de dix mille hommes
de toutes armes, femmes, enfants se pressant, se poussant afin de
passer les premiers.
Le hasard me fit rencontrer un capitaine de la Jeune Garde qui etait
mon pays[62]. Il etait avec son lieutenant, son domestique et un
mauvais cheval. Le capitaine n'avait plus de compagnie, le regiment
n'existait plus. Je lui contai mes peines, il me donna un peu de the
et un morceau de sucre, mais, un instant apres, une autre masse de
monde arriva derriere nous, qui nous separa. A la tete de la premiere
cohue, un tambour battait la marche de retraite, probablement a la
tete d'un detachement de la garnison que je n'ai pu voir. Nous
marchames pendant plus d'une demi-heure; nous arrivames a l'extremite
du faubourg. Alors on commenca a respirer, et chacun marcha comme il
put. Lorsque je fus hors de la ville, je ne pus m'empecher de faire
des reflexions en pensant a notre armee qui, cinq mois avant, etait
entree, dans cette capitale de la Lithuanie, nombreuse et fiere, et
qui en sortait miserable et fugitive.
[Note 62: M. Debonnez, de Conde, tue a Waterloo, chef de
bataillon. (_Note de l'auteur_).]
X
De Wilna a Kowno.--Le chien du regiment.--Le marechal Ney.--Le tresor
de l'armee.--Je suis empoisonne.--La "graisse de voleur".--Le vieux
grenadier.--Faloppa.--Le general Roguet.--De Kowno a Elbing.--Deux
cantinieres.--Aventures d'un sergent.--Je retrouve Picart.--Le
traineau et les juifs.--Une megere.--Eylau.--Arrivee a Elbing.
Nous n'etions encore qu'a un quart de lieue de la ville quand nous
apercumes les Cosaques a notre gauche, sur les hauteurs et dans la
plaine, a notre droite. Cependant ils n'osaient se hasarder de venir a
notre portee. Apres avoir marche quelque temps, je rencontrai le
cheval d'un officier du train d'artillerie, tombe et abandonne. Il
avait, sur le dos, une schabraque en peau de mouton: c'etait
precisement ce qu'il fallait pour couvrir mes pauvres oreilles, car il
m'eut ete impossible d'aller bien loin sans m'exposer a les perdre.
J'avais, dans ma carnassiere, des ciseaux provenant de la trousse du
docteur, trouvee sur le Cosaque que j'avais tue le 23 no
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