leurs chevaux, d'autres
restent au milieu de la route, ne sachant plus ou aller.
L'arriere-garde s'empara de plusieurs chevaux et fit marcher les
cavaliers a pied au milieu d'eux pour, ensuite, les abandonner, car
que pouvait-on en faire? On ne pouvait deja pas se conduire soi-meme.
Je n'oublierai jamais l'air imposant qu'avait le Marechal dans cette
circonstance, son attitude menacante en regardant l'ennemi, et la
confiance qu'il inspirait aux malheureux malades et blesses qui
l'entouraient. Il etait, dans ce moment, tel que l'on depeint les
heros de l'antiquite. L'on peut dire qu'il fut, dans les derniers
jours de cette desastreuse retraite, le sauveur des debris de l'armee.
Tout ce que je viens de dire se passa en moins de dix minutes.
Daubenton se debarrassait de Mouton, pour s'emparer du cheval de celui
qu'il venait de mettre hors de combat, lorsqu'un individu, sortant de
derriere un massif de petits sapins, s'avance, fait tomber le
cuirassier, saisit la monture par la bride, et s'eloigne. Daubenton
lui crie: "Arretez, coquin! C'est mon cheval! C'est moi qui ai
descendu le cavalier!" Mais l'autre, que je venais de reconnaitre pour
le grenadier qui, le premier, avait tire sur les Russes, se sauve avec
le cheval, au milieu de la cohue d'hommes qui se pressent d'avancer.
Alors Daubenton me crie: "Garde Mouton! Je cours apres le cheval; il
faut qu'il me le rende ou il aura affaire a moi!" Il n'avait pas
acheve le dernier mot, que plus de 4000 traineurs de toutes les
nations arrivent comme un torrent, me separant de lui et de Mouton,
que je n'ai plus jamais revu. Ces hommes, que le Marechal faisait
marcher devant lui, etaient apres moi sortis de Wilna.
Puisque l'occasion s'est presentee de parler du chien du regiment, il
faut que je fasse sa biographie:
Mouton etait avec nous depuis 1808; nous l'avions trouve en Espagne,
pres de Benavente, sur le bord d'une riviere dont les Anglais avaient
coupe le pont. Il etait venu avec nous en Allemagne; en 1809, il avait
assiste aux batailles d'Essling et de Wagram, ensuite il etait encore
retourne en Espagne en 1810 et 1811. C'est de la qu'il partit avec le
regiment, pour faire la campagne de Russie, mais, en Saxe, il fut
perdu ou vole, car Mouton etait un beau caniche: dix jours apres notre
arrivee a Moscou, nous fumes on ne peut plus surpris de le revoir; un
detachement compose de quinze hommes, parti de Paris quelques jours
apres notre depart, pour rejoindre le regimen
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