e reverrai plus jamais
Montauban!"--c'etait le nom de son endroit. Je cherchai a le consoler
en lui faisant voir que ma position etait encore plus triste que la
sienne. Nous marchames ensemble une partie de la journee; souvent
j'etais oblige de m'arreter pour mon derangement de corps et, quoique
je n'eusse pas besoin de defaire mes pantalons pour satisfaire a mes
besoins, je n'en perdais pas moins du temps, car, depuis Wilna, ne
pouvant, a cause de mes doigts geles ou engourdis, remettre mes
bretelles, j'avais decousu mon pantalon depuis le devant jusqu'au
derriere; je le faisais tenir par le moyen d'un vieux cachemire qui me
serrait le ventre; de cette maniere, lorsque j'avais besoin, je
m'arretais, et, debout, je satisfaisais a tout a la fois. Lorsque je
prenais quelque chose, j'etais certain qu'un instant apres, je le
laissais aller.
Il pouvait etre midi lorsque je proposai de nous arreter dans un
village que nous apercevions devant nous. Nous entrames dans une
maison veuve de ses habitants; nous y trouvames trois malheureux
soldats qui nous dirent que, ne pouvant aller plus loin, ils avaient
resolu d'y mourir. Nous leur fimes des observations sur le sort qui
les attendait, lorsqu'ils seraient au pouvoir des Russes. Pour toute
reponse, ils nous montrerent leurs pieds; rien de plus effrayant a
voir: plus de la moitie des doigts leur manquaient, et le reste etait
pres de tomber. La couleur de leurs pieds etait bleue et, pour ainsi
dire, en putrefaction. Ils appartenaient au corps du marechal Ney.
Peut-etre, lorsqu'il aura passe, quelque temps apres, les aura-t-il
sauves.
Nous nous arretames assez de temps pour faire cuire un peu de riz, que
nous mangeames. Nous fimes aussi rotir un peu de cheval, pour manger
au besoin; ensuite nous partimes en nous promettant de ne point nous
separer, mais la grande cohue de trainards arriva, nous entraina, et,
malgre tous nos efforts, nous fumes separes, sans pouvoir nous
rejoindre.
J'arrivai sur un moulin a eau: la, je vis un soldat qui, ayant voulu
passer sur la glace de la petite riviere du moulin, s'etait enfonce.
Quoique n'ayant de l'eau que jusqu'a la ceinture, au milieu des
glacons, on ne put le retirer. Des officiers d'artillerie qui avaient
trouve, dans le moulin, des cordes, les lui jeterent, mais il n'eut
pas la force d'en saisir un bout; quoique vivant encore, il etait gele
et sans mouvement.
Un peu plus loin, j'appris que le regiment, si toutefois l'on pouvait
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