ine a se trainer, et, sans lui donner le temps
de me repondre, je lui demandai si c'etait pour le manger; que, dans
ce cas, le cheval etait preferable: "Helas! non, me repondit-il,
j'aimerais mieux manger du Cosaque; tu ne reconnais donc pas Mouton,
qui a les pattes gelees et qui ne peut plus marcher?--C'est vrai, lui
dis-je, mais qu'en veux-tu faire?" Tout en marchant, Mouton, a qui
j'avais passe la main droite emmaillotee sur le dos, leva la tete pour
me regarder et sembla me reconnaitre. Daubenton m'assura que, depuis
sept heures du matin, et meme avant, les Russes etaient dans les
premieres maisons du faubourg ou nous avions loge: que tout ce qui
restait de la Garde en etait parti a six, et qu'il etait certain que
plus de douze mille hommes de l'armee, officiers et soldats, qui ne
pouvaient plus marcher, etaient restes au pouvoir de l'ennemi. Pour
lui, il avait failli subir le meme sort par devouement pour son chien;
il voyait bien qu'il serait oblige de l'abandonner sur la route, dans
la neige: la veille du jour ou nous etions arrives a Wilna, par
vingt-huit degres, il avait eu les pattes gelees et, ce matin, voyant
qu'il ne pouvait plus marcher, il avait resolu de l'abandonner sans
qu'il s'en apercoive; mais ce pauvre Mouton se doutait qu'il voulait
partir sans lui, car il se mit tellement a hurler qu'a la fin il se
decida a le laisser suivre. Mais a peine avait-il fait dix pas dans la
rue, il s'apercut que son malheureux chien tombait a chaque instant
sur le nez: alors il se l'etait fait attacher sur les epaules et sur
son sac, et c'etait de cette maniere qu'il avait rejoint le marechal
Ney, qui faisait l'arriere-garde avec une poignee d'hommes.
Tout en marchant, nous nous trouvames arretes par un caisson renverse
qui barrait une partie du chemin: il etait ouvert, il contenait des
sacs de toile, mais vides. Ce caisson etait probablement parti de
Wilna la veille, ou le matin, et avait ete pille en route, car il
avait ete charge de biscuits et de farine. Je proposai a Daubenton de
nous arreter un instant, car une forte colique venait de me prendre;
il y consentit volontiers, d'autant plus qu'il voulait decidement se
debarrasser de Mouton d'une maniere ou d'une autre.
A peine nous disposions-nous a nous mettre a notre aise, que nous
apercumes, derriere un ravin, un peloton d'une trentaine de jeunes
Hessois qui avaient fait partie de la garnison de Wilna et en etaient
partis depuis le point du jour. Ils attendaien
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