eponse que je n'avais rien, on me tourna le dos en jurant et en
frappant la terre avec la crosse du fusil.
On se remit en route, et nous arrivames tres tard a Joupranoui:
presque toutes les maisons etaient brulees, les autres abandonnees,
sans toits et sans portes. Nous nous mimes comme nous pumes, les uns
sur les autres. Le cheval ne manquant pas, j'en fis cuire pour le
lendemain.
Le lendemain 8, il faisait grand jour lorsque nous partimes, mais le
froid etait tellement rigoureux, que les soldats mettaient le feu aux
maisons pour se chauffer. Dans toutes maisons, il y avait des
malheureux soldats: beaucoup perirent dans les flammes, n'ayant pas la
force de se sauver.
Dans le milieu de la journee, nous arrivames dans une petite ville
dont je ne me rappelle plus le nom. On disait que l'on devait y faire
des distributions, mais nous apprimes que les partisans avaient pille
les magasins avant notre arrivee, et que ceux qui etaient charges des
distributions, ainsi que les commissaires des guerres, s'etaient
sauves.
Nous continuames notre route, enjambant sur les morts et les mourants.
Lorsque nous fimes halte pres d'un bois ou un soldat de la compagnie
apercut un cheval abandonne, nous nous reunimes a plusieurs pour le
tuer et en prendre chacun un morceau, mais comme personne n'avait plus
de hache ni de forces pour en couper, nous le tuames pour en avoir le
sang, que nous recueillimes dans une marmite enlevee a une cantiniere
allemande et, comme nous trouvions toujours des feux abandonnes, nous
le fimes cuire en mettant dedans de la poudre pour assaisonnement:
mais, a peine etait-il a moitie cuit, nous apercumes une legion de
Cosaques. Nous eumes, cependant, le temps de le manger tel qu'il etait
et a pleines mains, de maniere que nos figures et nos vetements
etaient barbouilles de sang. Nous etions epouvantables a voir, et nous
faisions pitie.
Cette halte, causee par un embarras occasionne par l'artillerie, que
des chevaux a demi morts trainaient encore, avait reuni plus de trente
mille hommes de toutes armes et de toutes les nations, qui offraient
un tableau impossible a decrire. Enfin, nous continuames a marcher, et
nous arrivames dans un grand village a trois ou quatre-lieues de
Wilna.
Comme j'allais me disposer a passer la nuit dans une ecurie ou toute
la compagnie etait logee, l'on me commanda de garde de police. Je
partis avec les hommes que l'on put ramasser et qui vinrent de bon
coeur, esperant etre m
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