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erent bonnes. Apres avoir bu un peu d'eau bourbeuse de la Berezina, nous nous chauffames en attendant l'ordre de passer les ponts. Aupres de notre feu etait un soldat de la compagnie qui se mettait en grande tenue: je lui en demandai la raison. Sans me repondre, il se mit a rire en me regardant. Cet homme etait malade; son rire etait le rire de la mort, car il succomba pendant la nuit. Un peu plus loin, c'etait un vieux soldat ayant deux chevrons ou, si l'on veut, quinze ans de service. Sa femme etait cantiniere; ils avaient tout perdu: voitures, chevaux, bagages, ainsi que deux enfants morts dans la neige. Il ne restait plus, a cette pauvre femme, que le desespoir et son mari mourant. Cette malheureuse, jeune encore, etait assise sur la neige, tenant sur ses genoux la tete de son mari mourant et sans connaissance. Elle ne pleurait pas, car, chez elle, la douleur etait trop grande. Derriere elle et appuyee sur son epaule, etait une jeune fille de treize a quatorze ans, belle comme un ange, seule enfant qui leur restait. Cette pauvre enfant pleurait en sanglotant. Ses larmes tombaient et allaient se geler sur la figure froide de son pere. Elle avait, pour tout vetement, une capote de soldat sur une mauvaise robe, et une peau de mouton sur les epaules, pour la preserver du froid[53]. Plus personne du regiment auquel ils appartenaient n'etait la pour les consoler. Le regiment n'existait plus. Nous fimes tout ce qui etait possible en pareille circonstance; je n'ai pu savoir si cette malheureuse famille avait ete secourue. De quelque cote que l'on se tournat, c'etait tableaux semblables. [Note 53: Cette jeune personne etait coiffee, ainsi que sa mere, d'un bonnet de peau de mouton d'Astrakan. (_Note d" l'auteur._)] Les voitures et les caissons abandonnes nous fournissaient du bon bois sec pour nous chauffer; aussi, nous en profitames. Mes amis me demanderent comment j'avais passe mes trois jours d'absence. Ils me conterent a leur tour que, le 23, lorsqu'ils etaient en marche sur la route qui traverse la foret, ils apercurent le 9e corps range en bataille sur la route et qui criait: "Vive l'Empereur!" qu'ils n'avaient pas vu depuis cinq mois. Ce corps d'armee, qui n'avait presque pas souffert et qui n'avait jamais manque de vivres, fut saisi en nous voyant si malheureux, de meme que nous, nous le fumes en les voyant si bien. Ils ne pouvaient pas croire que c'etait la l'armee de Moscou, cette armee qu'ils avaient vue
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