l m'offrit de
l'argent, je le remerciai, car j'avais la valeur de huit cents francs
que j'aurais volontiers donnes pour la tartine, les pommes de terre
que j'avais cru manger chez moi.
Avant de me quitter, il me montra de la main la maison ou l'Empereur
avait loge, en me disant qu'il avait joue de malheur, car cette maison
etait un magasin de farine, mais que les Russes avaient tout emporte,
de sorte qu'il n'avait rien a m'offrir. Il me donna une poignee de
main, et me quitta pour passer le pont.
Lorsqu'il fut parti, je me rappelai qu'il m'avait parle d'un magasin
de farine dans la maison ou avait loge l'Empereur. Aussitot je me
leve, et, quoique bien faible, je me traine de ce cote. Il n'y avait
pas longtemps que l'Empereur en etait sorti, et deja l'on y avait
enleve toutes les portes. En y entrant, j'apercus plusieurs chambres
que je parcourus: dans toutes il etait facile de voir qu'il y avait eu
de la farine. J'entrai dans une ou je remarquai que les planches
etaient mal jointes; il y avait plus d'un pouce d'intervalle. Je
m'assis et, avec la lame de mon sabre, je fis sortir autant de terre
que de farine, que je mettais precieusement dans un mouchoir. Apres un
travail de plus d'une heure, j'en ramassai peut-etre la valeur de deux
livres, ou se trouvait un huitieme de terre, de paille et de petits
morceaux de bois. N'importe! Dans ce moment je n'y fis pas attention.
Je sortis heureux et content. Comme je prenais la direction de notre
bivac, j'apercus un feu ou plusieurs soldats de la Garde se
chauffaient. Parmi eux etait un musicien de notre regiment qui avait
sur son sac une gamelle de fer-blanc. Je lui fis signe de venir me
parler, mais, comme il ne se souciait pas beaucoup de quitter sa
place, ne sachant pas pourquoi je l'appelais, je lui montrai mon
paquet en lui faisant comprendre qu'il y avait quelque chose dedans.
Il se leva, quoique avec peine, et, lorsqu'il fut pres de moi, je lui
dis, de maniere que les autres ne puissent l'entendre, que, s'il
voulait me preter sa gamelle, nous ferions des galettes que nous
partagerions. Il consentit de suite a ma proposition. Comme il y avait
beaucoup de feux abandonnes, nous en cherchames un a l'ecart. Je fis
ma pate et quatre galettes; j'en donnai la moitie a mon musicien que
je ramenai avec moi au regiment, toujours sur le bord de la Berezina.
En arrivant, je partageai avec ceux qui m'avaient conduit sous les
bras et, comme elles etaient encore chaudes, ils les trouv
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