lement dure, qu'il me fut impossible de m'en servir: je dus
l'abandonner. Mais, voulant qu'elle fut encore utile, j'en couvris un
homme mourant.
[Note 55: J'ai su, depuis, que le sergent avait eu le bonheur de
revenir en France. Comme il avait beaucoup d'argent, il trouva un juif
qui le conduisit a Koenigsberg; mais en France, etant devenu fou, il
se brula la cervelle. (_Note de l'auteur_.)]
Nous avions passe une mauvaise nuit. Beaucoup d'hommes de la Garde
imperiale avaient succombe: il pouvait etre sept heures du matin.
C'etait le 29 novembre. J'allai encore aupres du pont, afin de voir si
je rencontrerais des hommes du regiment. Ces malheureux, qui n'avaient
pas voulu profiter de la nuit pour se sauver, venaient, depuis qu'il
faisait jour, mais trop tard, se jeter en masse sur le pont. Deja l'on
preparait tout ce qu'il fallait pour le bruler. J'en vis plusieurs qui
se jeterent dans la Berezina, esperant la passer a la nage sur les
glacons, mais aucun ne put aborder. On les voyait dans l'eau jusqu'aux
epaules, et la, saisis par le froid, la figure rouge, ils perissaient
miserablement. J'apercus, sur le pont, un cantinier portant un enfant
sur sa tete. Sa femme etait devant lui, jetant des cris de desespoir.
Je ne pus en voir davantage; c'etait au-dessus de mes forces. Au
moment ou je me retirais, une voiture dans laquelle etait un officier
blesse, tomba en bas du pont avec le cheval qui la conduisait, ainsi
que plusieurs hommes qui accompagnaient[56]. Enfin, je me retirai. On
mit le feu au pont; c'est alors, dit-on, que des scenes impossibles a
peindre se sont passees. Les details que je viens de raconter ne sont
que l'esquisse de l'horrible tableau.
[Note 56: C'est ainsi que perit M. Legrand, frere du docteur
Legrand, de Valenciennes. Il avait ete blesse a Krasnoe. Il etait
arrive jusqu'a la Berezina. Un instant apres la scene que je viens de
tracer, et au moment ou les Russes tiraient sur le pont, l'on m'a
assure qu'il avait encore recu une blessure avant d'etre precipite,
lui et sa voiture. (_Note de l'auteur_.)]
Je venais d'etre prevenu que le regiment allait passer; il venait de
quitter la position de la veille. Je fis prendre les armes aux hommes,
reunis au nombre de 23, sans compter notre armurier. Lorsque le
regiment passa, chacun rentra dans sa compagnie.
Nous etions en marche: il pouvait etre neuf heures. Nous traversames
un terrain boise et coupe par des marais que nous passames sur des
ponts con
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