l en etait parti
dans la matinee. Nous fumes plus heureux que le jour precedent: je
trouvai un peu de farine a acheter; nous fimes de la bouillie, mais
nous n'eumes pas le bonheur de trouver une maison sans toit; nous
fumes forces de coucher dans la rue. Apres avoir encore passe cette
mauvaise nuit sans dormir, tant il faisait froid, nous partimes pour
nous rendre a Smorgony. En suivant la route, nous la vimes couverte
d'officiers superieurs des differents corps, ainsi que des nobles
debris de l'Escadron et du Bataillon sacres, couverts de mauvaises
fourrures, de manteaux brules, meme d'autres qui n'en avaient pas la
moitie, l'ayant partage avec un ami, peut-etre avec un frere. Une
grande partie marchait appuyee sur un baton de sapin; ils avaient la
barbe et les cheveux couverts de glacons; on en voyait qui, ne pouvant
plus marcher, regardaient, parmi les malheureux qui couvraient la
route, s'il ne s'en trouvait pas des regiments qu'ils commandaient
quinze jours avant, afin d'en obtenir un secours, en leur donnant le
bras ou autrement: celui qui n'avait pas la force de marcher etait un
homme perdu.
Il en etait des routes comme des bivacs, ressemblant a un champ de
bataille, tant il y avait de cadavres; mais comme, presque toujours,
il tombait beaucoup de neige, le tableau etait moins sinistre a voir;
d'ailleurs on etait devenu sans pitie; on etait devenu insensible pour
soi-meme, a plus forte raison pour les autres; l'homme qui tombait et
implorait une main secourable n'etait pas ecoute. C'est de cette
maniere que nous arrivames a Smorgony; c'etait le 6.
En entrant dans cette ville, nous apprimes que l'Empereur en etait
parti la veille, a dix heures du soir, pour la France, laissant le
commandement de l'armee au roi Murat. Beaucoup d'etrangers profiterent
de cette occasion pour jeter de la defaveur sur l'Empereur a propos
d'une demarche qui n'etait que naturelle, car, apres la conspiration
de Malet, sa presence devenait necessaire en France, non seulement
pour la partie administrative, mais pour y organiser une nouvelle
armee. On voyait, au milieu des groupes d'hommes a demi morts qui
arrivaient, d'autres individus qui paraissaient tout a fait etrangers
et a part des malheureux, car ils etaient bien vetus et vigoureux; ils
criaient contre la demarche de l'Empereur. Depuis, j'ai toujours pense
que ces hommes etaient des agents de l'Angleterre qui arrivaient
au-devant de l'armee pour y precher la defection.
Au mili
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