re paye qui lui faisait dire qu'il
n'en avait plus. Tout a coup, une jeune fille de quatorze a quinze ans
descendit d'un grand poele en terre, sur lequel elle etait assise, et
s'approchant de moi, me dit: "Si tu veux me donner le galon que tu as
la, je te donnerai un verre d'eau-de-vie!" Je consentis a ce qu'elle
voulait; aussitot, elle detacha le large galon en argent qui soutenait
la carnassiere que je portais au cote, d'une valeur de plus de trente
francs, et que j'apportais de Moscou. Lorsqu'il fut en sa possession,
elle le cacha dans son sein; ensuite elle le remplaca par une mauvaise
corde. Si je l'avais laissee faire, elle m'aurait pris la giberne du
docteur que j'avais enlevee au Cosaque; elle s'etait apercue qu'elle
etait garnie en argent. Un instant apres, elle m'apporta un mauvais
verre de genievre que j'avalai avec peine, tant j'avais l'estomac
resserre.
La jeune juive me donna encore un petit fromage d'une forme ovale,
gros comme un oeuf de poule, et qui avait l'odeur de l'anis. Je le mis
precieusement dans ma carnassiere, et je sortis.
A peine avais-je pris l'air, que le malheureux verre de genievre, au
lieu de descendre dans l'estomac, me monta a la tete. Il fallait
passer sur un corps d'arbre qui servait de pont, sur un large et
profond fosse rempli de neige. Je le passai en dansant, sans tomber,
et je courus jusqu'au milieu du regiment, en faisant la meme chose. Je
fis mieux, j'allai prendre de mes camarades par les bras, en chantant
et en voulant les faire danser. Plusieurs de mes amis, et meme des
officiers, se reunirent autour de moi, en me demandant ce que j'avais:
pour toute reponse je dansais, et je chantais. D'autres me regardaient
avec indifference. Le sergent-major de la compagnie, me conduisant a
quelques pas du regiment, me demanda d'ou je venais. Je lui dis que
j'avais bu la goutte: "Et ou?--Viens avec moi", lui dis-je. Il me
suivit, nous passames sur l'arbre, en nous tenant par la main. A peine
etions-nous de l'autre cote, que je me sentis saisir par un bras:
c'etait un de mes amis un Liegeois[57], sergent-major, qui venait
savoir ce que j'avais.
[Note 57: Leboude. (_Note de l'auteur._)]
Lorsque nous fumes chez le juif, je leur dis que, s'ils avaient des
galons d'or ou d'argent, ils auraient du genievre: "Si ce n'est que
cela, dit le Liegeois, en voila!" Il avait un joli bonnet en peau
d'Astrakan, dont le tour etait garni d'un large galon en or; il le
donna. Ce fut encore la jeune
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