u vin.
[Note 51: Le general Eble.]
A deux heures de l'apres-midi, le premier pont fut fait. La
construction fut penible et difficile, car les chevalets s'enfoncaient
toujours dans la vase. Aussitot, le corps du marechal Oudinot le
traversa pour attaquer les Russes qui auraient voulu s'opposer a notre
passage. Deja, avant que le pont fut fini, de la cavalerie du deuxieme
corps avait passe le fleuve a la nage; chaque cavalier portait en
croupe un fantassin. Le second pont, pour l'artillerie et la
cavalerie, fut termine a quatre heures[52].
[Note 52: Ce second pont croula quelque temps apres qu'il fut
termine, et au moment ou l'artillerie commencait a passer. Il y perit
du monde. (_Note de l'auteur_.)].
Un instant apres notre arrivee sur le bord de la Berezina, je m'etais
couche, enveloppe dans ma peau d'ours et, aussitot, je tremblai de la
fievre. Je fus longtemps dans le delire; je croyais etre chez mon
pere, mangeant des pommes de terre et une tartine a la flamande, et
buvant de la biere. Je ne sais combien de temps je fus dans cette
situation, mais je me rappelle que mes amis m'apporterent, dans une
gamelle, du bouillon de cheval tres chaud que je pris avec plaisir et
qui, malgre le froid, me fit transpirer, car, independamment de la
peau d'ours qui m'enveloppait, mes amis, pendant que je tremblais,
m'avaient couvert avec une grande toile ciree qu'ils avaient arrachee
d'un dessus de caisson de l'etat-major, sans chevaux. Je passai le
reste de la journee et de la nuit sans bouger.
Le lendemain 27, j'etais un peu mieux, mais extraordinairement faible.
Ce jour-la, l'Empereur passa la Berezina avec une partie de la Garde
et environ mille hommes appartenant au corps du marechal Ney. C'etait
une partie du reste de son corps d'armee. Notre regiment resta sur le
bord. Je m'entendis appeler par mon nom: je levai la tete et je
reconnus M. Peniaux, directeur des postes et des relais de l'Empereur,
qui, en voyant le regiment ou il savait que j'etais, s'etait informe
de moi. On lui avait dit que j'etais malade. Il venait, non pour me
donner des secours, puisqu'il n'avait rien pour lui-meme, mais pour
m'encourager. Je le remerciai de l'interet qu'il me temoignait, en
ajoutant que je pensais que je ne passerais pas la Berezina, que je ne
reverrais plus la France, mais que lui, si, plus heureux que moi, il
avait le bonheur de retourner au pays, je le priais de dire a mes
parents dans quelle triste situation il m'avait vu. I
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